Adoptée au second colloque international sur les défenseurs des droits de l'homme en Afrique-Johannesburg+18
27 mars-1er avril 2017
Cotonou, Bénin
Nous, représentants des organisations de la société civile, des institutions nationales de droits de l’homme et de gouvernements de toute l'Afrique travaillant à la promotion et à la protection de tous les droits de l'homme aux niveaux local, national et régional, réunis à Cotonou, au Bénin, du 27 mars au 1er avril 2017, sous les auspices de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples ; en tant que défenseurs des droits de l'homme et acteurs travaillant sur diverses thématiques des droits de l’homme telles que l'état de droit, le développement, la santé et la transformation sociétale ; adoptons la déclaration suivante:
Préambule
Réaffirmant l'importance du rôle des défenseurs des droits de l'homme dans la promotion et la protection des droits de l'homme en Afrique, ainsi que dans le domaine de la consolidation de la démocratie, de l’état de droit et du développement durable sur le continent.
Notant avec satisfaction le travail de la Rapporteure spéciale sur les défenseurs des droits de l'homme en Afrique et celui du Groupe d'étude sur la Liberté d'Association et de réunion en Afrique, ainsi que le travail des mécanismes onusiens des droits de l'homme sur la protection des défenseurs des droits de l'homme en Afrique, en particulier la contribution du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits de l'homme et celle du Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d'association.
Soulignant l'importance de l’ensemble des droits de l'homme, y compris le droit à la vie, à la dignité, à l'égalité, à la non-discrimination, du droit de ne pas être soumis à la torture aux traitements inhumains et dégradants, le droit à la liberté d'association et de réunion, le droit à la liberté d'expression ;
Rappelant l’impérieuse nécessité de respecter, protéger, promouvoir et mettre en œuvre ces droits pour tous les défenseurs des droits de l'homme ;
Préoccupés par les diverses formes de violations graves des droits de l'homme dont sont victimes les défenseurs des droits de l'homme en Afrique d’une manière générale et par celles qui ciblent spécifiquement certains groupes de défenseurs de droits de l’homme , notamment les femmes défenseures des droits de l’homme, les défenseurs des droits de l’homme travaillant dans les États en conflit et post-conflit, sur les questions liées au droit à la terre, à la santé, au VIH, à l'orientation sexuelle, l’identité et l’expression du genre, les droits sexuels et à la santé de la reproduction ;
Reconnaissant la créativité et l’innovation des défenseurs des droits humains, mais aussi leur résilience face à ces violations.
Attirons l'attention sur les nombreux défis auxquels font face les défenseurs de droits de l’homme et les tendances lourdes qui portent préjudices à leurs droits ainsi qu’il suit :
1) Utilisation de la législation et des pratiques antiterroristes contre les défenseurs des droits de l'homme
En réponse aux problèmes sécuritaires, sociaux et économiques créés par le terrorisme et l’extrémisme violent, de nombreux pays africains ont adopté des textes de lois, autres mesures antiterroristes, qui pour bon nombre contiennent des dispositions qui portent gravement atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, incluant notamment la possibilité d’imposer la peine de mort et en permettant des détentions préventives longues et arbitraires. Les libertés d'association et de réunion sont également sérieusement limitées par certaines de ces lois.
Dans de nombreux pays, ces lois, politiques et mesures sont appliquées en l’absence de contrôle judiciaire, ou avec un contrôle judiciaire limité. Les mesures de lutte contre le terrorisme sont de plus en plus utilisées pour entraver les activités et le travail des défenseurs des droits de l'homme indûment qualifiés de groupes terroristes lorsqu'ils contestent l'impact négatif de la lutte contre le terrorisme ou lorsqu'ils s’expriment en faveur de la bonne gouvernance, de la démocratie ou de la protection des droits de l'homme en général.
2) Restrictions des droit à la liberté d’association et de réunion, et à l’accès aux financements
Ces restrictions comprennent des interdictions générales et des limitations à la capacité de créer, d'enregistrer et de faire fonctionner des organisations non gouvernementales ou de tenir des réunions et d'autres rassemblements, qui se traduisent souvent par des sanctions pénales contre les défenseurs des droits de l'homme, membres de ces organisations ou qui exercent leur droit à la liberté de réunion. L'utilisation des restrictions de financement par les États est une tendance marquée, utilisée afin d’annihiler le rôle essentiel de la société civile. Ceci passe par des mesures législatives et autres exigences qui interdisent ou restreignent toute possibilité de recevoir des fonds provenant de sources étrangères et extérieures.
3) Les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées, la torture et les traitements inhumains ou dégradants, la violence et les détentions arbitraires.
Plusieurs rapports ont montré que les défenseurs des droits de l’homme dans plusieurs Etats Africains ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées, d’actes de torture et de traitements inhumains ou dégradants, de violences, d’arrestations et de détentions arbitraires. Les défenseurs des droits de l’homme et leurs familles font souvent l’objet de menaces de mort et d'intimidations. Ce qui renforce l’environnement de peur et de suspicion dans lequel vivent déjà ceux-ci et porte sur eux de graves conséquences psychologiques et mentales. Le manque de réponses judiciaires ou policières appropriées et efficaces à ces différentes situations crée un climat d'impunité qui encourage et perpétue ces violations.
4) Les Représailles contre les défenseurs des droits de l'homme
Des représailles ou menaces de représailles contre les défenseurs des droits de l'homme qui communiquent ou coopèrent avec les mécanismes sous régionaux, régionaux et universels des droits de l'homme ont été signalées dans divers Etats Africains. Ces représailles comprennent des menaces personnelles ou des menaces contre les membres des familles des défenseurs, des campagnes de diffamation, des menaces de mort, des attaques physiques, des enlèvements, des harcèlements judiciaires, des meurtres, d'autres formes de harcèlement ou d'intimidation par la police, y compris des interdictions de voyager. Ces mesures visant à faire taire les défenseurs des droits de l'homme et à les empêcher de s'exprimer constituent des violations des droits de l'homme contre lesquelles il faut lutter.
5) Les défis spécifiques auxquels font face certaines catégories de défenseurs des droits de l'homme
Divers facteurs politiques, sociaux et contextuels tels que le patriarcat, les stéréotypes de genre, l’hétéronormativité, la militarisation, les extrémismes religieux et autres, ainsi que la mondialisation sapent l'activisme et le travail de certaines catégories de défenseurs des droits de l'homme, dont les femmes défenseurs des droits de l’homme, les défenseurs travaillant sur le droit à la terre, dans les États en conflit et post-conflit, sur des questions liées à la santé, au VIH, à l'orientation sexuelle, l’identité et l’expression du genre, les droits sexuels et à la santé de la reproduction. Répondre aux causes sous-jacentes et structurelles des violations des droits de l'homme affectant ces défenseurs, en particulier, devrait être une priorité. Cela nécessite l'abrogation des lois, l’abandon des politiques et l’éradication des pratiques, qui créent ou renforcent la violence, la discrimination et les stéréotypes.
Au regard de ce qui précède, nous faisons les recommandations suivantes aux principales parties prenantes:
À la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples
· Utiliser pleinement son double mandat de promotion et de protection des droits de l’homme afin de surveiller le respect par les États des normes et standards des droits de l’homme relatifs aux droits des défenseurs des droits de l'homme, notamment lors de l’examen des rapports des États, des visites de promotion et des missions d'enquête, et par la voie des appels urgents et d'autres moyens.
· Continuer à surveiller et à dénoncer systématiquement les violations, y compris les représailles contre les défenseurs des droits de l'homme en Afrique, publier une mise à jour annuelle sur la question et mettre en place un mécanisme pour remédier à de telles représailles, y compris lorsqu’elles sont dirigées contre les défenseurs des droits de l'homme qui collaborent ou participent aux réunions de la commission africaine.
· Surveiller et assurer la mise en œuvre effective des Principes et directives sur les droits humains et le terrorisme en Afrique, adoptée par la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples.
· Examiner la législation et les politiques qui imposent des restrictions aux libertés publiques et qui réduisent le rôle et l'espace opérationnel des acteurs de la société civile.
· Élaborer des directives sur la protection des femmes défenseures des droits de l'homme, dans la continuité de l'étude sur les femmes défenseures des droits de l'homme, avec des indicateurs pour le suivi et la surveillance des mesures prises par les États.
· Élaborer une étude sur la situation des défenseurs travaillant sur la santé, la santé sexuelle et reproductive, l'orientation sexuelle et l'identité et l'expression du genre en Afrique.
· Continuer et renforcer la collaboration et le dialogue avec tous les défenseurs des droits de l'homme sur les défis, les bonnes pratiques et les progrès sur l'espace civique en Afrique.
À l'Union africaine et autres organismes régionaux et sous régionaux
· Reconnaître le rôle essentiel des défenseurs des droits de l'homme pour l’amélioration des droits de l'homme, de la démocratie, de l'État de droit et du développement durable en Afrique et encourager les États parties à la charte africaine des droits de l’homme et des peuples et les organes de l'Union africaine à mener des campagnes de sensibilisation sur le rôle fondamental joué par les défenseurs des droits de l'homme.
· Créer des espaces de dialogue entre les États, les défenseurs des droits de l'homme et d'autres acteurs clés sur les défis, les bonnes pratiques et les progrès en matière de protection des défenseurs des droits de l'homme.
· Encourager et soutenir une pleine collaboration entre les mécanismes nationaux, régionaux et internationaux de défense des droits de l'homme et s'abstenir d'ingérences indues dans le travail de ces mécanismes.
· S'engager à améliorer l'environnement politique pour le travail des défenseurs des droits de l'homme; en améliorant les possibilités pour leur participation effective au développement de la politique régionale et aux processus de prise de décision, et en leur fournissant l'accès à l'information de manière opportune et accessible.
Aux Etats
· Adopter des mesures efficaces pour prévenir les violations des droits des DDH et réparer au besoin les préjudices que subissent ceux-ci et s'abstenir de criminaliser ou d'entreprendre d’autres actions néfastes contre ces défenseurs, y compris les représailles et les restrictions.
· Veiller à ce que les réponses au terrorisme n'entraînent pas des restrictions excessives de l'espace de la société civile, mais qu’elles soient apportées conformément aux Principes et directives sur les droits humains et le terrorisme en Afrique.
· Abroger les lois punitives et restrictives, abandonner les politiques et les pratiques qui portent atteinte aux droits à la liberté d'association et de réunion, qui stigmatisent certaines catégories de défenseurs des droits de l'homme et discriminent en fonction du sexe, de l'état de santé, de l'orientation sexuelle, ou d’autres statuts.
· S'engager dans le dialogue et la consultation avec les défenseurs des droits de l'homme, reconnaître publiquement et soutenir leur travail au moyen de campagnes de communication et d'information.
Aux institutions nationales des droits de l'homme
· Utiliser efficacement leurs mandats de promotion et de protection afin de tenir les États responsables des violations commises contre les défenseurs des droits de l'homme et intervenir dans l’intérêt de ceux qui pourraient être victimes de violations des droits de l'homme.
· Mettre en place des points focaux sur les défenseurs des droits de l'homme et veiller à ce qu'ils disposent de ressources suffisantes et collaborent activement avec tous les défenseurs des droits de l'homme.
· Accorder une attention particulière aux défenseurs des droits de l'homme faisant face à des risques accrus.
Aux organisations de la société civile
· Continuer à collaborer avec les mécanismes nationaux, régionaux et onusiens pour la protection des droits de l'homme, afin de prévenir et de répondre aux violations des droits de l'homme commises contre les défenseurs des droits de l'homme.
· Mettre en place et renforcer les réseaux de défenseurs nationaux et régionaux afin de promouvoir la collaboration et les approches intersectorielles qui permettent l’établissement d’alliances avec des groupes divers tels que les femmes, les jeunes et les défenseurs des droits de l'homme travaillant sur des questions comme le VIH, l'orientation sexuelle, le droit à la santé de la reproduction entre autres .
· Développer des approches novatrices pour impliquer le grand public, tous les secteurs du gouvernement et d'autres leaders d'opinion, y compris les médias, dans le travail des défenseurs des droits de l'homme.
Aux mécanismes des Nations Unies pour la protection des droits de l'homme et aux agences des Nations Unies
· Continuer à utiliser le mandat des mécanismes onusiens pour la protection des droits de l'homme afin de prévenir, documenter, dénoncer et réclamer réparation pour les violations des droits de l'homme auxquelles sont confrontés les défenseurs des droits de l'homme, y compris les représailles.
· Diffuser les principaux instruments universels et régionaux relatifs aux défenseurs des droits de l'homme, y compris la Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus(Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l’homme) et les rapports pertinents des mécanismes africains et onusiens pour les droits de l'homme sur la question des défenseurs des droits de l’homme en Afrique, et ce par l'intermédiaire des différentes institutions, des bureaux régionaux et nationaux;
· Développer des initiatives de formation et d'information pour les responsables étatiques afin de les sensibiliser au rôle des défenseurs dans la promotion et la protection des droits de l'homme.
· Toutes les agences des Nations Unies devraient ouvrir un espace sécurisé pour faciliter le dialogue avec les défenseurs des droits de l’homme au niveau national.
Aux médias, aux leaders religieux et traditionnels
· S'engager dans le dialogue avec tous les défenseurs des droits de l'homme et soutenir leurs efforts pour faire progresser les droits de l'homme, l’état de droit, le changement social et le développement.
· Les médias devraient s'abstenir d'inciter à la haine contre les défenseurs des droits de l'homme ou contre les organisations de la société civile et devraient promouvoir le reportage et les informations responsables qui font progresser le travail des défenseurs des droits de l'homme.
· Les chefs traditionnels et religieux, les leaders d’opinion devraient éliminer les obstacles au travail des défenseurs des droits de l'homme et des organisations de la société civile. Ils doivent en particulier promouvoir l'accès des défenseurs des droits de l’homme aux communautés, et devraient prévenir les pratiques négatives qui sont source de discrimination à l'égard des femmes défenseurs et des défenseurs des droits de l'homme travaillant dans des domaines spécifiques et avec toutes personnes notamment les personnes stigmatisées, tels que les travailleurs de sexes , les personnes faisant l’objet de discrimination à cause de leur orientation sexuelle et les personnes vivant avec le VIH.
Cotonou le 1er Avril 2017