La Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (la Commission) suit avec beaucoup d’attention la situation des migrants subsahariens dans l’Etat de Libye (Libye) et est particulièrement préoccupée suite aux multiples allégations de séquestration, de torture, de mauvais traitements et de demande de rançon dont ils auraient été victimes par des groupes criminels et trafiquants d’êtres humains, dans la ville d’Adjkhara, dans le Sud-Est libyen, ces derniers profitant du climat d’instabilité et de division régnant dans le pays.
Selon les informations crédibles parvenues à la Commission de sources diverses, plus de 250 migrants subsahariens irréguliers, de différentes nationalités, ont été détenus et séquestrés -avant leur libération par les forces de sécurité libyennes-, dans des conditions humaines et sanitaires déplorables, par des passeurs et des trafiquants d’êtres humains, et certains d’entre eux ont été soumis à la torture et à différents actes cruels, inhumains et dégradants afin de forcer leurs proches à payer des rançons. Les informations indiquent également que de nombreuses femmes migrantes parmi eux ont subi des violences sexuelles de manière continue durant toute la période de séquestration.
La Commission souhaite rappeler les dispositions de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (la Charte), notamment son article 1 qui dispose que les Etats Parties reconnaissent les droits et libertés qu’elle consacre et s’engagent à adopter toutes les mesures nécessaires pour les appliquer, ainsi que l’article 5 sur l’interdiction de la torture, la traite des personnes et tous les traitements cruels, inhumains et dégradants. Elle rappelle également les dispositions du Protocole de Maputo relatif aux droits des femmes, notamment son article 4 interdisant toutes formes de violence à l’égard des femmes, ainsi que d’autres instruments pertinents ratifiés par la Libye.
La Commission africaine invite l’Etat de la Libye à mener une enquête indépendante, partiale et rapide sur les différentes violations des droits des migrants subsahariens et à s’assurer que les responsables répondent de leurs actes.
Par ailleurs, et prenant en considération le fait que la Libye soit un Etat de transit ainsi que d’installation pour de nombreux migrants subsahariens, notamment suite au conflit au Soudan et aux multiples crises dans la région du Sahel, la Commission africaine souhaite rappeler dans ce contexte particulier ses « Principes directeurs africains relatifs aux droits de l'homme de tous les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile » (2023), notamment le Principe 37 relatif à la coopération des Etats membres de l’Union africaine pour la protection des migrants par la création des corridors et des routes migratoires sûrs pour permettre la libre circulation des personnes ainsi que par la prévention et la répression du trafic de migrants par voie terrestre, maritime et aérienne. Elle rappelle aussi « La Politique de l’Union africaine sur la prévention du trafic illicite des migrants en Afrique », ainsi que le « Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières », e particulier son Objectif 9 relatif au renforcement de l’action transnationale face au trafic de migrants.
Enfin, la Commission rappelle une fois de plus la nécessité d’une protection accrue de tous les migrants, quel que soit leur statut migratoire, et l’importance de s’attaquer aux causes profondes du trafic de migrants et de la traite d’êtres humains, notamment aux facteurs économiques et aux facteurs de gouvernance et de sécurité qui sont à l’origine des migrations irrégulières en Afrique.
Elle encourage l’Union africaine à apporter son assistance à la Libye et à soutenir un processus de réconciliation inclusif.
Banjul 3 février 2025
Honorable Commissaire Selma SASSI-SAFER
Commissaire en charge de la situation des droits de l’homme dans l’Etat de Libye
Rapporteure spéciale sur les Réfugiés, les Demandeurs d’asile, les Personnes Déplacées Internes et les Migrants en Afrique