8 mars 2025, Banjul, République de Gambie
En cette occasion mémorable de la Journée internationale de la femme 2025, la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP), à travers sa Rapporteure spéciale sur les Droits de la femme en Afrique (SRRWA), se trouve à un moment charnière dans la poursuite globale de l'égalité des genres et de l'autonomisation des femmes et des filles. Le thème de cette année, « Pour toutes les femmes et les filles : Droits. Égalité. Autonomisation », résonne profondément alors que nous commémorons le 30ème anniversaire de la Déclaration et du Programme d'action de Beijing. Ce cadre historique a façonné l'agenda mondial des droits des femmes et de l'égalité des sexes.
La Déclaration de Beijing, adoptée en 1995, était un appel à démanteler les barrières systémiques, à remettre en question les normes discriminatoires et à garantir la pleine participation des femmes dans toutes les sphères de la vie. Trois décennies plus tard, nous célébrons les progrès accomplis, notamment en Afrique, où les femmes ont franchi des barrières dans les domaines de la politique, de l'éducation, de l'entrepreneuriat et du leadership. Nous devons toutefois faire également face aux dures réalités qui persistent : la violence basée sur le genre, l'inégalité d’accès à l'éducation et aux soins de santé, les disparités économiques et la sous-représentation des femmes dans les espaces de prise de décision.
L'Afrique a connu des avancées remarquables dans la promotion des droits et de l'autonomisation des femmes et des filles, en démontrant ainsi la résilience du continent et son engagement en faveur de l'égalité entre les hommes et les femmes. Parmi les tendances les plus notables, on peut citer :
- L’accroissement de la représentation politique : Depuis l'adoption de la Déclaration de Beijing en 1995, de nombreux États africains ont accompli des progrès remarquables en matière de participation politique des femmes. Le Rwanda occupe la première place mondiale, avec plus de 60 % des sièges parlementaires occupés par des femmes. Des pays comme l'Afrique du Sud, la Namibie et le Sénégal ont également réalisé des progrès significatifs dans la promotion d'une représentation équilibrée des sexes. La nomination de femmes chefs d'État sur l'ensemble du continent a, en outre, marqué un tournant dans le leadership politique. Parmi les exemples notables, citons Ellen Johnson Sirleaf au Liberia, première femme élue Présidente en Afrique, Sahle-Work Zewde en Éthiopie, première femme Présidente de ce pays, et Samia Suluhu Hassan en Tanzanie, qui est devenue la première femme chef d'État dabs son pays. Catherine Samba-Panza, Présidente par intérim de la République centrafricaine, et Ameenah Gurib-Fakim, première femme Présidente de l'île Maurice, sont d'autres sources d'inspiration. Plus récemment, la Namibie a nommé sa première femme chef d'État, Netumbo Nandi-Ndaitwah, en soulignant ainsi l'élan croissant vers l'égalité des sexes dans la politique africaine.
- Les progrès en matière d'éducation : L'écart entre garçons et filles dans l'enseignement primaire et secondaire se réduit sur tout le continent. Des pays comme le Kenya, le Ghana et le Botswana sont parvenus à une quasi-parité en matière de scolarisation, en donnant ainsi aux filles les moyens de se construire un avenir meilleur.
- L'autonomisation économique des femmes : Les femmes africaines franchissent de plus en plus de barrières dans le domaine de l'entrepreneuriat et du leadership. Des initiatives telles que le Fonds de développement des femmes africaines et le programme « Women in Business » de l'Union africaine ont soutenu les entreprises dirigées par des femmes, en favorisant ainsi la croissance économique et l'innovation.
- Les réformes juridiques : De nombreux pays africains ont adopté des lois progressistes visant à protéger les droits des femmes, notamment des lois contre la violence basée sur le genre, le mariage des enfants et la discrimination sur le lieu de travail. Des pays comme le Malawi, la Tanzanie, la Zambie, la Gambie et le Mali ont relevé l'âge légal du mariage à 18 ans, en protégeant ainsi les filles des mariages précoces.
- Les mouvements de base : Les mouvements et organisations dirigés par des femmes sont à l'origine de changements au niveau communautaire. Du mouvement #MeToo au Nigeria à la lutte contre les violences basées sur le genre en Afrique du Sud, les femmes africaines font entendre leur voix et demandent des comptes.
Malgré ces tendances positives, des défis importants subsistent, entravant la pleine réalisation de l'égalité des sexes et de l'autonomisation des femmes en Afrique, notamment :
- La violence basée sur le genre (VBG) et les pratiques traditionnelles néfastes : Malgré la mise en place de cadres juridiques progressistes, la violence basée sur le genre et les pratiques traditionnelles néfastes continuent d'affliger les sociétés, en raison de normes culturelles profondément ancrées, de systèmes juridiques pluriels et d'un manque de volonté politique pour faire appliquer les lois progressistes. Le mariage d’enfants reste très répandu, en perpétuant ainsi les cycles d'inégalité et de déresponsabilisation. De même, la violence basée sur le genre persiste à des taux alarmants, se manifestant par des violences domestiques, des agressions sexuelles et des pratiques néfastes telles que les mutilations génitales féminines (MGF). Ces défis soulignent l’urgente nécessité d'une application plus stricte des lois existantes et d'un changement d'attitude de la société pour éradiquer ces violations et protéger les droits et la dignité des femmes et des filles.
- Les crises humanitaires, telles que le changement climatique et les conflits, exacerbent encore davantage ces défis, en soulignant le besoin urgent de protections et de systèmes de soutien plus solides.
- Les inégalités économiques : Les femmes continuent d'être confrontées à des obstacles à la participation économique, notamment un accès limité à la terre, au crédit et aux technologies. Le secteur informel, où travaillent de nombreuses femmes africaines, est souvent dépourvu de protections sociales et de salaires équitables.
- Les disparités en matière de santé : Les taux de mortalité maternelle restent inacceptables dans certaines régions et l'accès aux services de santé sexuelle et reproductive est souvent limité. Les grossesses d'adolescentes et le VIH/sida touchent de manière disproportionnée les femmes et les filles.
- La sous-représentation des femmes à des fonctions de direction : Bien que des progrès aient été accomplis, les femmes restent sous-représentées dans les fonctions de direction politique et d'entreprise. Les barrières culturelles et institutionnelles empêchent souvent les femmes d'accéder à des fonctions de décision.
- Les conflits et les déplacements : Dans les régions touchées par des conflits, les femmes et les filles sont confrontées à des risques accrus de violence, d'exploitation et de déplacement. Les crises actuelles dans certaines parties du Sahel, la Corne de l'Afrique et la région des Grands Lacs soulignent la nécessité d'une consolidation de la paix et de réponses humanitaires sensibles au genre.
- La discrimination intersectionnelle : Les groupes de femmes marginalisées, notamment les femmes handicapées, les femmes âgées et les femmes vivant en milieu rural, sont confrontés à une discrimination accrue et à l'exclusion des opportunités.
Pour tirer parti des progrès accomplis et relever les défis persistants, la CADHP exhorte les gouvernements africains, la société civile, le secteur privé et les partenaires internationaux à accélérer la mise en œuvre du Programme d'action de Beijing et de l'Agenda 2063. Cet objectif peut être atteint en alignant les politiques nationales sur ces cadres et en veillant à ce que l'égalité entre les hommes et les femmes soit intégrée dans tous les secteurs. La CADHP appelle au renforcement des cadres juridiques, à l'amélioration de l'accès à la justice pour les survivants et à l'augmentation des investissements dans des programmes de prévention afin d'éradiquer la violence basée sur le genre sous toutes ses formes.
Elle souligne en outre la nécessité d'élargir l'accès des femmes entrepreneurs aux financements, à la terre et aux technologies et de garantir un salaire égal à travail égal afin de combler l'écart salarial entre les hommes et les femmes. Des mesures d'action positive, telles que des quotas, devraient être mises en œuvre pour accroître la représentation des femmes dans les fonctions politiques et dirigeantes à tous les niveaux. La CADHP recommande également de donner la priorité à l'éducation des filles, en particulier dans les domaines des STIM (science, technologie, ingénierie et mathématiques), et de garantir l'accès universel aux services de santé sexuelle et reproductive. Enfin, la CADHP appelle à la reconnaissance et à la prise en compte des défis particuliers auxquels sont confrontés les groupes de femmes marginalisées, notamment les femmes handicapées, les femmes vivant en milieu rural et les réfugiées.
Alors que nous célébrons la résilience et les réalisations des femmes et des filles africaines, n'oublions pas que la lutte pour l'égalité des sexes est loin d'être terminée. La Déclaration et le Programme d'action de Beijing, ainsi que l'Agenda 2063, constituent une feuille de route pour un avenir où chaque femme et chaque fille pourra vivre dans la dignité, la liberté et l'égalité des chances. En cette Journée internationale de la femme, renouvelons notre engagement en faveur des principes de droits, d'égalité et d'autonomisation - pas seulement pour certaines, mais pour TOUTES les femmes et les filles.
Honorable Commissaire Janet Ramatoulie Sallah-Njie
Rapporteure spéciale de la CADHP sur les droits des femmes en Afrique
et Vice-Présidente de la CADHP