Je voudrais en cette date commémorative du 10 octobre marquant la célébration de la journée internationale pour l’abolition de la peine de mort, saluer les actions consolidantes que continuent à déployer les différents acteurs engagés en faveur de l’éradication de cette sanction avilissante qui est la peine de mort.
Dans le prolongement du thème du 20e anniversaire de l'année dernière, nous continuons à réfléchir à "la relation entre la peine de mort et la torture ou d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants". La nécessité de maintenir notre attention sur la nature déplorable de la peine de mort et d'envisager son lien avec d'autres actes auxquels la communauté internationale accorde une attention particulière, démontre l'urgence fondamentale de prendre des mesures rapides en vue de son abolition ou au moins l’institution d’un moratorium légale ou de facto.
On ne saurait trop insister sur les tourments que subissent les victimes pendant les périodes souvent prolongées qu'elles passent dans le couloir de la mort sans compter la souffrance que l’exécution de la peine de mort de par sa nature implique pour la victime et ses proches. Comme je l'ai dit lors de la réunion du Panel de Haut Niveau sur la peine de mort à la 52e Session du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, en février de cette année, la faiblesse des systèmes judiciaires de la plupart des pays africains continue d'exacerber le risque d'erreur dans l’identification et inculpation des auteurs des crimes susceptibles de peine mort et, en conséquence, l'application abusive de la peine de mort.
Cette journée de célébration nous offre l’occasion de décliner les axes majeurs des dynamiques actuelles dans la cause abolitionniste sur le continent africain. Il me plait, à cet égard, de souligner que durant l’année en cours une évolution positive a été notée avec l’adoption par le parlement de la République du Ghana d’une loi supprimant la peine capitale pour l’ensemble des infractions qualifiées criminelles à l’exception de la haute trahison.
Cette réforme majeure vient consolider la tendance progressive observée ces dernières années avec l’adoption de mesures similaires en Guinée équatoriale, en République centrafricaine et plus récemment en République de Zambie.
A ce jour 26 Etats africains ont effectivement aboli la peine de mort dans leur législation tandis qu’au moins 18 autres observent de façon continue un moratoire sur les exécutions.
Toutefois, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, à travers son groupe de travail, est pleinement consciente que l’abolition totale de la peine de mort, qui reste son objectif ultime, est loin d’être atteinte en raison de la persistance de nombreux défis liés notamment à la recrudescence des conflits armés, à la montée du terrorisme et de façon générale à l’exaspération des extrémismes les plus violents.
Dans un tel contexte, il nous semble utile de déconstruire certaines idées reçues autour de la problématique de la peine de mort et faire face à ces situations justifiant souvent la réticence de certains Etats à supprimer la peine capitale dans leurs législations internes.
C’est le lieu de faire observer qu’à ce jour, en notre connaissance, aucune étude sérieuse n’a réussi à établir d’une manière irréfutable que l’abolition de la peine de mort entrainerait automatiquement ou à terme une évolution graduelle du taux de criminalité.
A notre sens, les stratégies à développer contre la peine de mort devront idéalement comprendre, d’une part, l’énoncé d’une solide argumentation théorique destinée à mieux faire comprendre les enjeux et défis de l’abolition et, d’autre part, la prise d’actions concrètes visant à faire valoir la préservation du droit reconnu à toute personne de ne pas être arbitrairement privée de la vie.
Se situant dans cette perspective, la Commission africaine a entrepris de renforcer le cadre juridique de protection du droit à la vie tel que défini à l’article 4 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples (Charte). Elle a dans ce sens adopté depuis 2015 un projet de protocole portant abolition de la peine de mort.
Il s’agit d’un instrument juridique facultatif par lequel les Etats parties à la Charte sont appelés à marquer leur engagement et leur adhésion irrévocable en faveur de l’abolition de la peine de mort.
Le Groupe de travail s’est engagé avec ses partenaires stratégiques pour mettre en place un cadre d’action et de concertation réunissant autour d’une coalition multilatérale les Etats partageant les mêmes positions en favorables à l’adoption du projet de protocole par les organes délibérants de l’Union africaine.
J’appelle les Etats parties à la Charte, les institutions principales de l’Union africaine, les Institutions nationales des droits de l’homme et les Organisations de la société civile à combiner leurs efforts pour soutenir le processus d’adoption de ce texte.
Dans le même sillage, l’Etude sur la peine de mort, qui depuis son adoption en 2011 constitue le document de référence sur la situation globale de la peine de mort en Afrique, est en train d’être révisée avec l’appui du Centre des droits de l’Homme de l’Université de Pretoria afin d’intégrer des analyses et perspectives nouvelles présentant un intérêt particulier pour la Commission.
Je voudrais saisir cette opportunité pour expliquer encore une fois le sens de notre démarche réaliste qui nous oblige à intensifier les interactions avec les Etats ayant fait le choix de garder encore la peine de mort dans leur législation.
En effet, dans son observation générale n° 3 sur le droit à la vie, adopté lors de sa 57e Session ordinaire, la Commission africaine exhorte instamment ces Etats à limiter l’application de la peine de mort aux crimes les plus graves et à considérer l’instauration d’un moratoire sur les exécutions en attendant d’envisager l’abolition de la sanction capitale dans leurs législations.
Pour clore mon propos, je réaffirme notre engagement solennel à continuer à agir pour la consolidation des acquis considérables enregistrés dans la lutte contre toutes les formes d’atteinte au droit à la vie et exprime mon appréciation positive à l’endroit de tous les acteurs étatiques et non étatiques œuvrant inlassablement pour la primauté du droit sur le continent africain.
Hon. Commissaire Idrissa Sow,
Président du Groupe de travail de la CADHP sur la peine de mort, les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires en Afrique