Déclaration à la presse sur la commémoration de la Journée mondiale de la liberté de la presse 3 mai 20201

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La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (la Commission), à travers la Rapporteure spéciale sur la liberté d’expression et l’accès à l’information en Afrique (la Rapporteure spéciale), se joint à la communauté internationale dans la commémoration de la Journée mondiale de la liberté de la presse.

LJournée mondiale de la liberté de la presse trouve son origine dans un séminaire organisé par l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) à Windhoek, en Namibie, en mai 1991. C'est lors de cette conférence que des journalistes africains ont adopté la Déclaration de Windhoek pour le développement d'une presse libre, indépendante et pluraliste (la Déclaration de Windhoek). Cette déclaration soulignait, inter alia que « la création, le maintien et le renforcement d'une presse indépendante, pluraliste et libre sont indispensables au progrès et à la préservation de la démocratie dans un pays, ainsi qu'au développement économique ».

En décembre 1993, l’Assemblée générale des Nations unies a proclamé le 3 mai Journée mondiale de la liberté de la presse. Les commémorations concrétisent la proposition faite lors du séminaire de Windhoek de sensibiliser à la liberté de la presse et de rappeler aux gouvernements leur devoir de respecter et de faire respecter le droit à la liberté d'expression.

La commémoration de cette date importante en 2021 coïncide avec le 30ème anniversaire de l'adoption de la déclaration de Windhoek. Elle nous donne également l'occasion de réfléchir à la situation du droit à la liberté d'expression sur le continent. Des progrès substantiels ont certes été réalisés dans le domaine de la liberté des médias en Afrique au cours des 30 dernières années, notamment l'augmentation sensible du nombre de médias privés, l'abrogation de lois sur la diffamation criminelle et l'insulte, l'adoption d'une législation sur l'accès à l'information, mais il reste encore beaucoup à faire.

Il serait négligent de notre part de ne pas réfléchir aux expériences des journalistes et autres professionnels des médias en Afrique. La situation de la liberté des médias s'est considérablement améliorée sur le continent. Toutefois, les cas de meurtres, de disparitions forcées, d'arrestations, de harcèlement, d'intimidation et d'autres violations des droits de l'homme persistent, souvent en toute impunité. 

Des cas comme ceux : de Kilwe Adan Farah, journaliste indépendant en Somalie, arrêté et détenu après avoir couvert une manifestation contre l'inflation dans la ville de Garowe, dans le Puntland, et de Hopewell Chin'ono, journaliste travaillant au Zimbabwe, arrêté au début de l’année 2021 pour la troisième fois en six mois, sur la base d'allégations de publication ou de communication de fausses informations préjudiciables à l'État. À l'occasion de la commémoration de la Journée mondiale de la liberté de la presse, il est important de souligner que les journalistes ne devraient pas être emprisonnés pour avoir exercé leur droit à la liberté d'expression et pratiqué leur profession. 

En outre, tout en se félicitant de la libération par les autorités égyptiennes du journaliste d'Al Jazeera, Mahmoud Hussein, le 6 février 2021, après plus de quatre ans de détention provisoire pour publication de fausses nouvelles, il est important de noter que la détention provisoire est une mesure de dernier recours, qu'elle ne doit être utilisée qu'en cas de nécessité et lorsqu'aucune autre alternative n'est disponible et, enfin, qu'elle doit respecter strictement la durée légale de cette détention.

La Rapporteure spéciale déplore également les cas de journalistes disparus, notamment Jean Bigirimana, journaliste travaillant au Burundi, qui n'a pas été revu depuis juillet 2016, suite à son arrestation qui aurait été effectuée par des agents du Service national de renseignement (SNR), et Azory Gwanda, journaliste de presse travaillant en Tanzanie, porté disparu depuis novembre 2017. La Rapporteure spéciale souhaite réitérer les dispositions de la Résolution sur la sécurité des journalistes et des professionnels des médias en Afrique CADHP/Rés.468 (LXVII) 2020, qui engage les États parties, inter alia, à « garantir la sécurité des journalistes et autres professionnels des médias et créer un environnement propice à l'exercice de leur profession » et à « enquêter sur les actes d'agression à l'encontre des journalistes et autres professionnels des médias, poursuivre et en punir les auteurs ». En conséquence, dans le cadre des commémorations de la Journée mondiale de la liberté de la presse, la Rapporteure spéciale souhaite appeler les États parties à enquêter pleinement sur tous les cas de journalistes disparus.

Tout aussi regrettables sont les cas d'agression physique de journalistes qui se soldent parfois par la mort. En Ouganda, plusieurs journalistes ont été agressés et blessés alors qu'ils effectuaient un reportage au bureau des Nations unies à Kampala. Betty Mutekhele Barasa, monteuse vidéo principale et productrice de télévision travaillant pour la Kenya Broadcasting Corporation, a été abattue à son domicile par des hommes armés non identifiés le 7 avril. Profitons de cette journée pour condamner dans les termes les plus vigoureux tous les actes de violence commis à l'encontre de journalistes et autres professionnels des médias et demandons instamment aux autorités gouvernementales de mener des enquêtes approfondies sur tous les cas d'agression de journalistes. 

À cet effet, il est important de rappeler que la Déclaration de principes révisée sur la liberté d'expression et l'accès à l'information en Afrique, adoptée par la Commission en novembre 2019, réaffirme le rôle capital des médias et d’autres moyens de communication dans l’assurance du plein respect du droit à la liberté d'expression, la promotion de la libre circulation des informations et des idées, l’assistance aux individus dans la prise de décisions éclairées, la facilitation et le renforcement de la démocratie.

La Journée mondiale de la liberté de la presse est un rappel solennel et un appel aux gouvernements d'Afrique sur la nécessité de respecter et d'accomplir leur engagement en faveur de la liberté de la presse à tout moment et en toute situation. Nous avons certes fait quelques progrès en matière de liberté d'expression, inscrite à l'Article 9 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, mais il nous reste encore un long chemin à parcourir pour que ce droit devienne une réalité. 

 

Commissaire Jamesina Essie L. King

Rapporteure spéciale sur la Liberté d’Expression et l’Accès à l’Information en Afrique

 

3 mai 20201