Déclaration de la Rapporteure spéciale sur les Droits de la Femme en Afrique, à l’occasion de la « Journée internationale de la Femme »

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8 mars 2023, Banjul, République de Gambie

La Rapporteure spéciale sur les Droits de la Femme en Afrique, l’Honorable Commissaire Janet Ramatoulie Sallah-Njie, au nom de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (la Commission) et en son nom propre, présente ses vœux les plus sincères aux femmes du monde, et plus particulièrement aux femmes africaines, en cette Journée Internationale de la Femme, célébrée ce 8 mars 2023.  

Le thème retenu pour cette année est « Pour un monde digital inclusif : Innovation et technologie pour l’égalité des sexes », le thème de la campagne étant #EmbraceEquity. Le thème de la campagne vise à faire comprendre au monde entier pourquoi l’égalité des chances ne suffit pas et à nous rappeler l’immense potentiel des technologies numériques pour améliorer la vie des femmes et parvenir à l’égalité pour tous. Il nous rappelle également le gouffre auquel les femmes sont confrontées en matière d’accès au numérique, ainsi que les occasions manquées en n’utilisant pas les plateformes numériques pour améliorer le statut de la femme et contribuer au statut socio-économique des États africains.

La Journée internationale de la femme est une façon d’honorer les sacrifices que les femmes ont consentis par le passé et que les femmes d’aujourd’hui font constamment pour faire reconnaître leur sexe comme étant égal et important dans la société. Cette journée est l’occasion de réfléchir à ce que signifie pour les femmes le fait d’apporter une contribution précieuse à la société et de nous rappeler la nécessité d’éliminer tout obstacle à l’exercice de cette contribution. 

Le rapport « Gender Snapshot 2022 » (rapport Gros plan sur l’égalité des sexes) d’ONU Femmes d’ONU Femmes indique que l’exclusion des femmes de l’espace numérique a eu pour effet de réduire d’un billion de dollars le produit intérieur brut des pays à revenu faible ou intermédiaire au cours de la dernière décennie[ https://www.unwomen.org/sites/default/files/2022-09/Progress-on-the-sus…]. En Afrique, il a été signalé que 73 % des femmes possèdent un téléphone portable, contre 84 % des hommes[ Afrobarometer ‘Gains and gaps: Perceptions and experiences of gender in Africa’ (2019) https://www.afrobarometer.org/wpcontent/uploads/migrated/files/publicat…]. 46 % des femmes ont accès à l’internet, contre 50 % des hommes[ Comme indiqué ci-dessus]. Ces tendances sont inquiétantes, car il est important que les femmes aient accès aux technologies numériques afin de pouvoir participer aux efforts d’éducation, à la liberté d’expression, à l’interaction sociale, aux activités économiques et politiques aussi efficacement que leurs homologues masculins. Les femmes peuvent utiliser l’internet pour accéder à des offres d’emploi, créer des entreprises, accéder à des services sanitaires, sociaux et financiers, ce qui contribuera à la réalisation de l’égalité des sexes.  En particulier, l’utilisation de l’argent mobile, qui devient de plus en plus populaire en Afrique, a été associée à une augmentation des chances de travail indépendant et d’entrepreneuriat chez les femmes.[ https://www.diplomacy.edu/resource/report-stronger-digital-voices-from-…]

Les obstacles à l’accès des femmes à l’internet ont été identifiés, notamment les coûts impliqués (aggravés par les disparités économiques existantes), le manque d’infrastructures appropriées pour permettre l’accès des femmes, ainsi que des mesures de sécurité inadéquates pour permettre aux femmes de participer librement en ligne sans être victimes de violence. L’Union africaine reconnaît cette nécessité de combler le fossé numérique entre les sexes et de parvenir à l’égalité des sexes grâce à l’innovation et aux technologies. En 2022, lors des consultations préalables à la Commission de la condition de la femme (CSW-67), les États africains ont adopté une position africaine commune pour la CSW67 et ont formulé des recommandations visant notamment à garantir l’accès des femmes et des filles aux outils numériques, à l’internet et aux contenus pertinents, la disponibilité des données pour soutenir l’innovation sensible au genre, la capacité humaine et institutionnelle à soutenir la technologie et l’innovation pour les femmes et les filles et la sécurité numérique pour les femmes et les enfants[ https://au.int/en/pressreleases/20221205/csw67-african-countries-agree-…].

Le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits de la femme en Afrique (Protocole de Maputo) exhorte les États membres à promouvoir la recherche et l’investissement dans le domaine des sources d’énergies nouvelles et renouvelables et des technologies appropriées, y compris les technologies de l’information, et en faciliter l’accès et le contrôle aux femmes[ Article 18(2)(b) du Protocole de Maputo]. La Commission est également très préoccupée par la nécessité de garantir un accès sûr et innovant à l’internet pour les femmes et les filles du continent. En 2022, la Commission a adopté la Résolution CADHP/Rés.522(LXXII) 2022 sur la Protection des femmes contre la violence numérique en Afrique. Elle définit la position de la Commission pour s’assurer que les États membres réalisent l’égalité entre les sexes en supprimant les obstacles qui affectent la participation effective des femmes en ligne, et éliminent les préjudices socio-économiques et psychologiques que les femmes subissent du fait de la violence numérique. 

Reconnaissant que la législation et la réglementation sont souvent très en retard sur les innovations numériques, la Commission, en réaction et en réponse aux défis qui résultent du manque d’accès, a souligné, dans sa Déclaration de principes de 2019 sur la liberté d’expression et l’accès à l’information en Afrique, l’importance de promouvoir l’égalité des sexes dans l’accès et l’utilisation des technologies numériques. La Déclaration aborde les obstacles spécifiques auxquels les femmes et les filles sont confrontées dans ces domaines. Le Principe 3 appelle spécifiquement à l’élimination globale de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et des filles dans l’utilisation et l’accès significatifs des technologies numériques[ Principe 3 de la Déclaration de Principes sur la Liberté d’Expression et l’Accès à l’Information en Afrique]. Divers principes de la Déclaration prévoient également une sensibilité au genre et un accès adapté au genre dans le but d’assurer l’équité et l’inclusion des femmes, mais aussi de surmonter les préjugés et les stéréotypes qui sont souvent ancrés dans la technologie. Pour que cette démarche soit couronnée de succès, l’innovation est essentielle, afin de garantir la création de nouvelles possibilités pour les femmes de participer à l’économie numérique. 

Les principes de la Déclaration appellent également à la promotion de la participation des femmes dans le secteur numérique, y compris dans les postes de direction, les rôles décisionnels significatifs et le développement des technologies numériques. En outre, la déclaration demande que des mesures soient prises pour lutter contre la violence en ligne à l’égard des femmes et des filles, notamment le cyberharcèlement, le harcèlement et d’autres formes de violence basée sur le genre. Elle appelle à l’élaboration de cadres juridiques et stratégiques qui garantissent que les technologies numériques sont inclusives et équitables et répondent aux besoins des utilisateurs, y compris des femmes.  Il est important que ces cadres juridiques et stratégiques anticipent et assurent la prévention et la réponse à la violence en ligne à l’égard des femmes et des filles, en adoptant une approche multidimensionnelle qui garantira le soutien de plusieurs parties prenantes à ces cadres.

Dans un espace numérique en rapide évolution, j’exhorte le continent africain à ne pas être laissé pour compte et, surtout, à ne pas laisser les femmes à la traîne. Un monde où les femmes et les hommes sont égaux est un monde qui prospère et qui est durable. Le développement du continent ne peut pas progresser de manière exponentielle si plus de la moitié de la population, c’est-à-dire les femmes, ne sont pas autorisées à participer à son développement. J’exhorte par conséquent les pays du grand continent africain à rechercher autant d’informations que possible par le biais du partage de l’information et de l’engagement avec les partenaires au développement sur la meilleure façon renforcer l’accès à l’internet pour les femmes dans leurs pays respectifs. J’exhorte les gouvernements à adopter des politiques qui mettent les femmes et les hommes sur un pied d’égalité en matière de technologie, notamment en matière de renforcement des capacités et d’accès aux ressources financières. Plus important encore, j’exhorte les gouvernements africains à prendre des mesures concrètes pour éliminer la violence à l’égard les femmes en ligne. Ensemble, nous pouvons progresser vers « l’Afrique que nous voulons » telle qu’envisagée par l’Agenda 2063 !

    
Honorable Commissaire Janet Ramatoulie Sallah-Njie
Rapporteure spéciale sur les Droits de la Femme en Afrique de la CADHP