La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, réunie à l’occasion de sa 60ème Session ordinaire, qui s’est tenue du 8 au 22 mai 2017 à Niamey, en République du Niger ;
Rappelant son mandat de promotion et de protection des droits de l'homme et des peuples en Afrique en application de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (Charte africaine) ;
Rappelant sa Résolution CADHP/Rés.148 (XLV1) 09 portant création du Groupe de Travail sur les industries extractives, l’environnement et les violations des droits de l’homme en Afrique (Groupe de Travail) adoptée par la 46ème Session ordinaire réunie à Banjul, en Gambie, du 11 au 25 novembre 2009, sa Résolution CADHP/Rés.224 (LI) 2012 sur une approche de la gouvernance des ressources naturelles basée sur les droits de l’homme adoptée par la 51ème Session ordinaire dont les travaux se sont tenus du 18 avril au 2 mai 2012 à Banjul, en Gambie, et sa Résolution CADHP/Rés.236 (LIII) 2013 sur la fuite illicite des capitaux d’Afrique adoptée au cours de la 53ème Session ordinaire réunie du 9 au 23 avril 2013 ;
Soulignant que le droit de disposer librement des richesses et des ressources naturelles est un droit inviolable de tous les peuples garanti par l’article 21 de la Charte africaine ;
Reconnaissant que, dans de nombreux pays africains, les industries extractives constituent une source de revenus et représentent une part substantielle de l’investissement étranger direct qui, s’il est géré de manière viable, responsable, durable, transparente et dans le respect des droits garantis par la Charte, peut contribuer positivement à un développement socio-économique à large assise et inclusif ;
Réaffirmant que les Etats Parties ont la responsabilité fondamentale de prévenir et de réparer, conformément à la Charte africaine, toutes les formes de violation des droits de l’homme et des peuples, notamment les violations impliquant des acteurs non-étatiques ;
Affirmant que les industries extractives ont l’obligation légale de respecter les droits garantis par la Charte africaine ;
Préoccupée par l’absence de transparence qui prévaut en ce qui concerne la négociation et les modalités des contrats de concession ainsi que la collecte et l’utilisation des recettes ;
Alarmée par le faible respect des droits de l’homme et des peuples dans le secteur des industries extractives, qui a pour conséquence d’importantes violations, tant individuelles que collectives, des droits de l’homme ;
Préoccupée par les conditions abusives sur la base desquelles les industries extractives opèrent dans de nombreuses parties du continent, ce qui prive les populations des avantages auxquels elles ont droit et a souvent des conséquences environnementales et sociales négatives, exacerbant davantage la pauvreté dans les communautés-hôtes ;
Constatant, avec une profonde préoccupation, la perte de considérables recettes attribuable à la faiblesse des systèmes de gouvernance et de taxation ainsi que des capacités de négociation, qui se traduit par des périodes de congés fiscaux indûment prolongées, des exonérations fiscales désavantageuses et l’exploitation, par les compagnies et les individus exerçant dans le secteur de l’extraction, des failles des régimes juridiques et des contrats de licence ;
Egalement préoccupée par le taux croissant de destruction, en toute impunité, de l’environnement et des écosystèmes du fait des activités industrielles extractives mal réglementées en Afrique ;
Convaincue de la nécessité d’une transformation du cadre juridique et réglementaire qui régit les activités des industries extractives, conformément à la Charte africaine, en prenant en considération les besoins de développement de la société et l’intérêt des communautés locales, des populations/communautés autochtones, des femmes, des enfants, des mineurs et autres groupes vulnérables qui vivent dans les zones d’intervention des industries extractives ;
La Commission :
1. Demande aux Etats Parties de veiller à l’adoption ou à la révision des lois pertinentes afin :
a. De se doter de dispositions organisant le partage des recettes tirées des activités des industries extractives entre le gouvernement national, les autorités régionales et les communautés locales, en identifiant leurs rôles, leurs responsabilités et les clés de répartition de ces recettes ;
b. D’exiger que les licences accordées aux industries extractives soient négociées et accordées dans le respect des modalités et procédures acceptées au niveau international, en privilégiant la transparence et les droits de l’homme et des peuples ;
c. De garantir que toutes les conditions financières des accords conclus avec des entreprises extractives, notamment celles relatives aux droits de licence, les taxes nationales et locales, les droits de douane, les redevances et les actions dus à l’Etat ne soient pas abusifs ;
d. D’exiger que les communautés et les individus qui résident dans des zones affectées à la prospection et l’exploitation des ressources naturelles soient dûment consultés, reçoivent toutes les informations relatives aux activités de prospection et d’exploitation, dès le début du projet, et aient l’assurance que ces activités sont menées dans le strict respect des termes convenus pour protéger leurs droits ;
e. De s’assurer que les contrats de concession sont négociés avec la participation active des représentants des communautés et organisations communautaires touchées et que les populations sont informées de leurs modalités, conformément aux exigences de transparence et de respect de tous les droits de l’homme et des peuples garantis par la Charte africaine ;
f. D’exiger que toutes les recettes tirées par l’Etat des activités des entreprises extractives et la manière dont elles ont été utilisées fassent l’objet d’un audit indépendant, soient communiquées aux populations, dans les langues locales, et soumises au contrôle du Parlement ;
g. De mettre en place des organismes de réglementation dotés des pouvoirs requis pour faire de telle sorte que les droits humains ainsi que les normes de l’environnement et du travail soient dûment respectés et que les impacts écologiques et sociaux soient atténués ;
h. D’invoquer la responsabilité pénale et administrative de tous les individus impliqués dans des pratiques de corruption et le détournement de fonds publics provenant des industries extractives ;
i. De mettre en place des mécanismes tant judiciaires que non-judiciaires de plainte, accessibles aux communautés touchées et dotés des moyens et ressources nécessaires au traitement des affaires impliquant les industries extractives ; et
j. De s’assurer de l’application des normes de sécurité et écologiques appropriées afin de protéger les individus et les communautés impliqués dans les activités minières artisanales et qui en dépendent, en prêtant une attention toute particulière aux droits des enfants, des femmes et des populations/communautés autochtones et autres groupes vulnérables.
2. Appelle les Etats Parties à adopter des lois, lorsque ces dernières n’existent pas, ou à réformer les lois existantes, afin de reconnaître et de garantir les obligations des industries extractives pour assurer le respect des droits prévus par la Charte africaine tout au long de leur processus d’exploitation, notamment, afin :
a. que les activités de prospection et d’exploitation soient menées dans le respect des termes convenus à l’issue des consultations à l’effet de garantir les droits et les intérêts des communautés-hôtes ;
b. qu’elles versent des réparations satisfaisantes aux communautés touchées en compensation de tous les dommages matériels et non-matériels subis et qu’elles nettoient et réhabilitent l’environnement en cas de dégradation de ce dernier ;
c. qu’elles assument leurs responsabilités civiles et pénales et paient des réparations pour les violations des droits de l’homme et des peuples et/ou les abus causés par leurs activités industrielles extractives ou par les activités de ceux qui agissent en leur nom ou qui participent ou incitent à de telles violations commises par des acteurs étatiques ou non-étatiques, notamment les compagnies privées de sécurité ;
d. qu’elles contribuent à la prise en charge des besoins de développement des communautés qui vivent dans leurs zones d’intervention, en particulier en apportant un soutien à l’emploi, à l’éducation, à la santé ainsi qu’aux projets de développement de l’agriculture et de l’élevage communautaires ; et
e. qu’elles fassent connaître l’identité de leurs actionnaires et de leurs partenaires locaux, déclarent l’intégralité des bénéfices qu’elles tirent de leurs opérations dans le pays-hôte et rendent publics tous les paiements faits au profit du gouvernement en vertu d’un contrat ou des lois en vigueur dans le pays.
3. Exhorte les Etats Parties à adopter des lois et règlements pour faciliter, après la cessation des activités minières et dans le respect des lois et principes régionaux et internationaux, le passage des communautés concernées d’une situation de dépendance économique vis-à-vis des industries extractives au recours à d’autres moyens de subsistance ;
4. Appelle les Etats Parties à se conformer à ces exigences lorsqu’il existe une législation appropriée, notamment en mettant en place les mécanismes de plainte permettant la prise en charge de tous les cas de violation des droits garantis par la Charte africaine ;
5. Exhorte les Etats Partis à créer des mécanismes régionaux pour :
f. permettre aux Etats Parties de coopérer et d’échanger des bonnes pratiques afin de renforcer les capacités et concevoir le cadre institutionnel et juridique nécessaire grâce auquel les contrats miniers seront négociés au profit des individus, communautés locales et populations/communautés autochtones concernés et en consultation avec ces derniers ;
g. mettre en place les capacités nécessaires à l’obtention d’une valeur ajoutée et à la valorisation des ressources;
h. instituer un cadre régional de commercialisation permettant d’évaluer la valeur commerciale des ressources exportées à partir de leurs territoires ; et
i. lutter contre la fuite illicite des capitaux, un phénomène récurrent dans l’industrie extractive.
Fait à Niamey, République du Niger, le 22 mai 2017