Panel organisé le 5 novembre 2015 en marge de la 57ème Session ordinaire de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples
Le Rapporteur Spécial sur les Prisons, les Conditions de détention et l’Action policière en Afrique, l’Honorable Commissaire Med S.K. Kaggwa, en collaboration avec l’Institut Danois des Droits de l’Homme (IDDH) et le Forum Africain pour le Contrôle Civil de l’Action Policière (APCOF) a organisé un panel sur la lutte contre le terrorisme et le respect des droits de l’homme par la Police : défis et perspectives. L’évènement parallèle s’est tenue en marge de la 57ème Session ordinaire de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (la Commission).
La modération de l’évènement a été assurée par l’Honorable Commissaire Maya Sahli Fadel, Rapporteur Spécial sur les Réfugiés, les Demandeurs d’Asile, les Migrants et les Personnes déplacées internes en Afrique.
Dans son mot introductif, l’Honorable Commissaire Kaggwa a indiqué que son mandat a été élargi pour inclure les questions relatives à la Police et les droits de l’homme à travers la Résolution CADHP/Res. 306 (EXT.OS/ XVIII) 2015[1] adoptée lors de la 18ème Session extraordinaire de la Commission tenue du 29 juillet au 7 août 2015 à Nairobi au Kenya. Le Commissaire Kaggwa a ainsi informé du fait que le titre de son mandat qui était le Rapporteur Spécial sur les Prisons et Conditions de détention en Afrique a été amendé et devient : le « Rapporteur Spécial sur les Prisons, les Conditions de détention et l’Action policière en Afrique ».
Le Commissaire Kaggwa s’est penché sur la manière dont le terrorisme affecte la sécurité dans toute l’Afrique, son profond impact sur la jouissance de tous du droit à la vie, les droits civils et politiques, économiques socio-culturels et les droits environnementaux. Tout en notant le rôle clé que jouent les forces de l’ordre dans la lutte contre le terrorisme, le Commissaire Kaggwa a encouragé tous les participants à faire des recommandations concrètes pour pallier aux défis observables dans le domaine de l’action de la Police et la lutte contre le terrorisme notamment le manque de formation des policiers en droits humains, le manque de mécanismes indépendant de surveillance de la Police de même que les facteurs économiques, sociaux et culturels qui favorisent les abus de droits de l’homme par la Police lorsqu’elle lutte contre le terrorisme.
L’introduction du Commissaire Kaggwa a été suivie par la présentation de M. Niklas Kabel Pedersen de l’IDDH, qui a abordé la question de « l’importance d’une approche basée sur les droits de l’homme par la Police dans le contexte de la lutte contre le terrorisme ». M. Pedersen a énoncé comme suit, les éléments de base de l’approche basée sur les droits de l’homme dans la prévention et la lutte contre le terrorisme qu’il a décrit comme important pour promouvoir une lutte « durable » contre le terrorisme, lutte qui s’attaque aux causes profondes mais pas seulement aux symptômes de l’insécurité:
· Le terrorisme et ses conséquences : Les Etats devraient combattre le terrorisme en garantissant la sécurité pour toutes les personnes vivant sur son territoire et lorsque des mesures spécifiques sont imposées, elles doivent être temporaires, raisonnables et prises en considérant l’intérêt général.
· L’approche inclusive du genre dans la prévention : Impliquer les femmes dans les efforts de lutte contre le terrorisme et promouvoir les droits des femmes est essentiel pour effectivement combattre les situations favorables à la propagation du terrorisme.
· Le terrorisme et les enfants : Pour éviter la radicalisation en prison, les Etats peuvent promouvoir les mesures alternatives et investir dans les services qui œuvrent pour la promotion de la réhabilitation et la réintégration des enfants.
· L’interdiction des abus de droit : Les personnes engagées dans les activités criminelles ou terroristes devraient bénéficier de leurs droits tels que garantis par la loi.
· Le terrorisme et la politique du « tirer pour tuer » : Les forces de maintien de l’ordre devraient agir conformément à la loi et recourir à la force seulement lorsque cela est absolument nécessaire ; de même, les systèmes visant à rendre compte doivent assurer l’interdiction et la prévention des abus de pouvoir.
· La torture et les arrestations arbitraires : Le droit à la vie et l’interdiction de la torture son indérogeables même en cas d’urgence.
· Le terrorisme et la protection des victimes : les Etats ont l’obligation de protéger, ce qui implique l’assistance en cas d’urgence et à long terme, le soutien psychologique et l’accès effectif des victimes de terrorisme à la justice.
La troisième intervention a été assurée par M. Théophane Seguéda de la Plateforme Ouest Africaine Police et Droits de l’Homme (POLI.DH) sur les « défis rencontrés par la Police dans la lutte contre le terrorisme ». Partant des exemples récents du Burkina Faso, M. Seguéda a indiqué que les Etats doivent connaitre les standards internationaux et régionaux se rapportant à la lutte et la prévention du terrorisme et s’assurer que les actions de l’Etat ne nuisent pas à l’Etat de Droit et le respect des droits de l’homme. M. Seguéda a souligné entre autres, les défis suivants: la compréhension du phénomène terroriste par la Police ; la garantie du respect des dispositions règlementaires en matière d’arrestation, de détention et d’enquêtes ; les difficultés liées au moyens de transport et aux infrastructures ; le manque de personnel (particulièrement les femmes) et la vigilance dans les actions. Monsieur Seguéda a relaté les efforts déployés au Burkina Faso pour répondre à certains de ces défis à travers des projets de coopération avec l’IDDH. Au centre de ces efforts a-t-il indiqué, se trouve le recrutement récent de 2500 officiers au Burkina Faso, le renforcement de la formation en droits de l’homme à l’endroit de la Police, l’établissement de la POLI.DH en vue de promouvoir un forum d'échange d'informations et de bonnes pratiques entre les Polices du Burkina Faso, du Mali et du Niger.
La présentation de M. Seguéda a été suivie par celle de Maître Ibrahima Kane de la Fondation Open Society, qui a porté sur "les mécanismes mis en place pour assurer le respect des droits de l'homme par la Police dans la lutte contre le terrorisme". Maître Kane a noté que les Services de Police africains ont adopté des mesures de lutte contre le terrorismequi sont autorisées par les textes de lois sur la lutte contre le terrorisme ; toutefois, le pouvoir donné à la Police en vertu de ces lois sont susceptibles d’expansion et créent desdéfis pour les droits de l'homme. Il a particulièrement mentionné la pratique des restitutions, l'extradition, le refoulement, le recours à des sociétés de sécurité privées, et la pratique de la détention au secret des suspects.
Les mécanismes disponibles en termes de supervision du rôle de la Police dans le contexte de lutte contre le terrorisme ont été énumérés par Maitre Kane comme incluant : des mécanismes au niveau continental à travers les structures de l’Union Africaine (le besoin d’un mécanisme spécial s’occupant des questions liées au terrorisme au niveau de la Commission a été souligné), la supervision des instances judiciaires, la surveillance de l’action de la Police, les Institutions nationales de droits de l’homme et le Médiateur.
Maitre Kane a fait noter que lors de la 56ème Session Ordinaire de la Commission, celle-ci a adopté les Principes et directives concernant les droits de l’homme et des peuples et la lutte contre le terrorisme et a encouragé la Commission à considérer l’adoption d’une loi type sur la Police et les institutions de surveillance de la Police dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
La dernière intervention a été faite par Mlle Tapsoba Josiane Somdata du Secrétariat de la Commission qui a formellement marqué le lancement de la 6ème lettre d’information sur la Police et les droits de l’homme en Afrique, une publication biannuelle de la Commission, APCOF et l’IDDH.
La Commissaire Fadel a ensuite ouvert les échanges aux 90 participants présents et les commentaires sur les sujets suivants ont été faits :
- Le besoin de clairement définir le terrorisme ;
- La prise en compte et le respect des particularités culturelles au sein de l’Etat dans l’action policière ;
- La nature du terrorisme, le rôle des systèmes judiciaires au plan national et l’importance de la coopération régionale et sous régionale ;
- Le rôle des militaires dans la lutte contre le terrorisme et le besoin de comprendre l’approche militaire et paramilitaire de même que l’impact des pratiques de la Police civile ;
- Le droit des victimes de terrorisme y compris l’accès à des soins psycho-sociaux ;
- L’importance de la formation de la Police dans la lutte contre le terrorisme au lieu de focaliser les efforts uniquement sur le renforcement de capacité de l’armée dans le domaine ;
- Le besoin d’inclure également dans les débats, le problème de l’exposition des agents de maintien de l’ordre eux-mêmes aux violations de leurs droits lors de la lutte contre le terrorisme.
Les observations de fin de séance ont été faites par l’Honorable Commissaire Kaggwa qui a remercié la modératrice, les panélistes et les participants et a rappelé les trois problématiques majeures qui ont été mentionnées pendant la discussion notamment la dimension militaire dans la lutte contre le terrorisme, la pratique des restitutions et le besoin d’impliquer les survivants du terrorisme dans le dialogue sur les défis dans la lutte contre le terrorisme.
L’évènement parallèle a ainsi pris fin avec ces remarques.
[1] http://www.achpr.org/fr/sessions/18th-eo/resolutions/306/