RAPPORT D'ACTIVITE INTERSESSION (NOVEMBRE 2013 A AVRIL 2014)
ET
RAPPORT ANNUEL SUR LA TORTURE ET LES MAUVAIS TRAITEMENTS EN AFRIQUE
Présenté à la 55ème Session ordinaire de la Commission africaine des Droits de l'Homme et des Peuples
Luanda, Angola, 28 avril au 12 mai 2014
Commissaire Lawrence Mute
Président du Comité pour la Prévention de la Torture en Afrique
Membre du Groupe de Travail sur les Personnes âgées et les Personnes handicapées
Membre du Groupe de Travail sur les Industries extractives, l'Environnement et les Violations des Droits de l'Homme en Afrique
Email: lamumu07@gmail.com
Table des Matières
1.
I: Introduction
2. Le présent Rapport a été élaboré en application des articles 23 (3) et 72 du Règlement intérieur de la Commission africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, qui imposent à chaque Mécanisme subsidiaire de la Commission africaine des Droits de l'Homme et des Peuples (la Commission africaine) de présenter un rapport sur son travail à chacune des Sessions ordinaires de la Commission africaine et à chaque Commissaire de soumettre aussi un rapport sur les activités de promotion entreprises pendant l'intersession. Je soumets le présent Rapport en ma qualité de Membre de la Commission, de Président du Comité pour la Prévention de la Torture en Afrique (CPTA ou Comité), de Membre du Groupe de Travail sur les Personnes âgées et les Personnes handicapées et de Membre du Groupe de Travail sur les Industries extractives, l'Environnement et les Violations des Droits de l'Homme en Afrique.
3. Ce Rapport couvre la période d'intersession comprise en les 54ème et 55ème Sessions ordinaires de la Commission africaine. Il fait également l'évaluation de la situation de la torture en Afrique de l'année 2013 à ce jour.
4. Il est scindé en plusieurs parties : l'introduction, le compte-rendu de mes activités au cours de l'intersession, l'analyse de la situation de la torture en Afrique et les recommandations.
II: Activités intersession
A : Activités menées en qualité de Président du CTPA
5. J'ai été nommé Président du CPTA par la Résolution 253/54/2013 de la 54ème Session ordinaire de la Commission africaine, dont les travaux se sont tenus du 22 octobre au 5 novembre 2013.[1] Le Comité se compose aussi des autres membres suivants : M. Jean-Baptiste Niyuzurugero (Vice-président) le Commissaire Med S. K. Kaggwa, la Commissaire Lucy Asuagbor, Mme Hannah Forster et M. Malick Sow.
6. Le 2 décembre 2013, je suis intervenu à l'occasion d'une Réunion de planification sur la mise en œuvre des observations conclusives faites à la République du Kenya par le Comité contre la Torture et les autres Traitements ou Peines cruels, inhumains et dégradants. La Réunion, qui s’est tenue à Nairobi, au Kenya, et impliquait des acteurs étatiques et non-étatiques, a étudié un projet de loi sur la Prévention de la Torture (2010) et exhorté le Gouvernement du Kenya à soumettre ce projet de loi au Parlement, pour examen.
7. J'ai convoqué et présidé une Réunion du CPTA à Banjul, en Gambie, 5 mars 2014. Le programme du Comité, qui se réunissait pour la première fois depuis le 25 août 2012, prévoyait l'examen du Plan stratégique 2012-2014 du CTPA et de la Déclaration de Johannesburg, l'étude de la possibilité de préparer une Observation générale de l'article 5 et la définition d'une stratégie en matière de mobilisation des ressources pour le Comité.
8. Le Comité a pris note et décidé, notamment, ce qui suit :
a. Un plan de travail opérationnel de deux ans (2014-2015) sera élaboré, en ce qui concerne le mandat du Comité relatif à l'utilisation des Lignes directrices et Mesures pour l'Interdiction et la Prévention de la Torture et des Traitements ou Peines cruels, inhumains ou dégradants (Lignes directrices de Robben Island), afin de promouvoir l'interdiction de la torture et des mauvais traitements ainsi que la protection contre ces pratiques.
b. Le bulletin du CPTA a été un instrument essentiel pour la vulgarisation des questions touchant à la lutte contre la torture en Afrique et sa publication sera relancée à titre prioritaire. Une édition de ce bulletin sera publiée chaque année.
c. Le Comité continuera à saisir les occasions telles que le Forum des ONG pour débattre de questions conceptuelles et autres questions d'actualité relatives à la torture et les clarifier.
d. Le Comité poursuivra ses missions de promotion et les Etats qui ont besoin d'un appui plus spécifique que générique technique seront identifiés à cet effet.
e. Toutes les fois où cela sera possible en termes logistiques, le CTPA effectuera des missions de promotion parallèlement aux missions de promotion des autres Mécanismes spéciaux de la Commission africaine, afin d'en tirer des avantages comparatifs compte tenu des ressources limitées.
f. Le Comité préparera une Observation générale sur l'article 5 de la Charte africaine des Droits de l'Homme et des Peuples (la Charte africaine), en prenant en considération les Lignes directrices de Robben Island afin d'éviter toute répétition ou présentation erronée des normes. Un exercice d'évaluation de sa portée sera entrepris pour permettre au Comité de déterminer si l'Observation générale doit se focaliser sur la totalité de l'article 5 ou sur certains aspects dudit article, comme la question des réparations.
g. La mise en œuvre du mandat du Comité a été fortement compromise par l'insuffisance des ressources et le Comité recherchera et lancera un appel pour des partenariats plus diversifiés aussi bien dans le domaine de l'appui technique que dans celui de l'aide en ressources. Le Comité ouvrira des négociations pour disposer d'un correspondant à temps plein au niveau du Secrétariat de la Commission africaine.
9. Le 6 mars 2014, j'ai eu de nouveaux échanges bilatéraux à Banjul, en Gambie, avec les représentants de Redress International et le Centre pour l'Etude de la Violence et la Réconciliation pour des consultations plus approfondies sur l'exercice d'évaluation de la portée de l'article 5.
B : Activités en qualité de Membre du Groupe de Travail sur les Personnes âgées et les Personnes handicapées
10. Mon mandat de membre du Groupe de Travail sur les Personnes âgées et les Personnes handicapées a été renouvelé par la 54ème Session ordinaire de la Commission africaine, qui s'est tenue du 22 octobre au 5 novembre 2013, au moyen de la Résolution 250/54/2013.[2] Au cours de l'intersession, j'ai entrepris plusieurs activités en qualité de Membre du Groupe de Travail.
11. J'ai initié la déclaration rendue publique par la Commission africaine le 2 Décembre 2013, à l'occasion de la Journée internationale des Personnes handicapées, célébrée le 3 décembre, et j'ai participé à son élaboration. Cette déclaration exhortait les Etats africains à créer des sociétés inclusives et à prendre des mesures stratégiques, législatives et administratives adéquates, conformément à la Charte africaine et à la Convention sur les Droits des Personnes handicapées (CDPH) pour la réalisation pleine et entière des droits des personnes handicapées en Afrique.[3]
12. Le 7 décembre 2013, j'ai présenté le Projet Zéro du Protocole à la Charte africaine des Droits de l'Homme et des Peuples sur les Droits des Personnes handicapées en Afrique (le Protocole sur les Handicapés), que j'avais préparé, à l'occasion d'une Réunion des organisations de/pour personnes handicapées du Réseau œcuménique pour la défense des personnes handicapées, qui s'est tenue à Kigali, au Rwanda. La Réunion a regroupé des participants en provenance du Rwanda, du Burundi, du Soudan du Sud, de l'Ouganda, de la Tanzanie et du Kenya. Certaines des propositions faites par la Réunion ont été insérées dans le Projet I du Protocole sur les handicapés.
13. Du 9 au 11 décembre 2013, j'ai co-présidé une Réunion conjointe du Département des Affaires sociales de la Commission de l'Union africaine et du Groupe de Travail sur les Personnes âgées et les Personnes handicapées, qui s’est tenue à Addis-Abeba, en Ethiopie. J'ai présenté le projet Zéro du Protocole relatif aux Handicapés, qui a ensuite été adopté par le Groupe de Travail comme base pour ses engagements futurs. La Réunion a également examiné le projet de Protocole à la Charte africaine des Droits de l'Homme et des Peuples sur les Droits des Personnes âgées en Afrique, que le Département des Affaires sociales doit valider avant sa transmission aux Etats, pour examen.
14. J'ai participé, les 16 et 17 décembre 2013, à une réunion sur le Projet Zéro du Protocole sur les Handicapés au cours de laquelle j'ai présenté une communication. Cette rencontre avait été convoquée à l'initiative d'Open Society for Eastern Africa, avec la participation de délégués de la sous-région de l'Afrique de l'Est. Les participants comprenaient des représentants d'organisations de/pour handicapés, des parlementaires, des experts et un membre du Comité sur les Droits des Personnes handicapées. Les Recommandations faites au cours du séminaire ont été exploitées pour l'élaboration du projet I du Protocole sur les Handicapés.
15. J'ai participé, les 1 et 2 mars 2014, à Banjul, en Gambie, à une Réunion du Groupe de Travail, au cours de laquelle j'ai présenté le Projet I du Protocole sur les Handicapés que j'avais élaboré sur la base des conclusions de la Réunion d'Addis-Abeba et d'autres déclarations. La Réunion a réaffirmé que le Protocole sur les Handicapés établira les droits des personnes handicapées sans pour autant compromettre la lettre et l'esprit de la Convention relative aux Droits des Personnes handicapées.[4] Le Groupe de Travail sollicite présentement des informations sur le Projet du Protocole, qui figure sur le site web de la Commission africaine.[5]
C : Activités en qualité de Membre du Groupe de Travail sur les Industries extractives, l'Environnement et les Violations des Droits de l'Homme en Afrique
16. J'ai été nommé Membre du Groupe de Travail sur les Industries extractives, l'environnement et les violations des Droits de l'Homme en Afrique par la Résolution 252/54/2013 de la 54èmeSession ordinaire de la Commission africaine, qui s'est tenue du 22 octobre au 5 novembre 2013 à Banjul, en Gambie.[6]
17. J'ai participé, du 12 au 18 janvier 2014, à une Mission de recherche et d'information entreprise par le Groupe de Travail en République Zambie. Cette mission avait pour objectif d'examiner l'impact des industries extractives en Zambie sous l'angle des droits de l'homme, dans le but éventuel de proposer des bonnes pratiques susceptibles de garantir le respect des droits de l'homme dans le secteur des industries extractives en Afrique. Dans le cadre de la Mission, j'ai visité les provinces de la Copper Belt, du Nord-Ouest et de Lusaka et participé à des rencontres avec des représentants de l'Etat, des dirigeants et membres des communautés, des acteurs du secteur minier, l'Institution nationale des Droits de l'Homme de la Zambie et la société civile ainsi que des acteurs religieux. Le rapport de la Mission est en cours d'élaboration.
D : Autres activités menées en qualité de membre de la Commission africaine
18. Le 22 novembre 2013, j'ai prononcé le discours liminaire à l'occasion de la Journée internationale contre l'Impunité et d'une réunion organisée à Nairobi, au Kenya, par la section d'Article 19 d'Afrique de l'Est, avec des participants de la Somalie, d'Ethiopie, d'Erythrée, d'Ouganda, de Tanzanie et du Kenya. Dans cette intervention, j'ai qualifié la guerre contre l'impunité de cause juste.
19. Le 27 novembre 2013, j'ai présenté, dans les locaux de l'Institut de Formation judiciaire de Nairobi, au Kenya, une communication devant les Juges d'Appel et les Juges de la Haute Cour du Kenya. Cette communication avait pour thèmes : la peine de mort, la Constitution du Kenya et la législation internationale des droits de l'homme.
20. Le 3 mars 2014, en ma qualité de Commissaire chargé des activités de promotion en Gambie, j'ai rendu au Solicitor-General de la République de Gambie une visite de courtoisie au cours de laquelle l'éventualité de l'organisation d'une mission en République de Gambie a été évoquée.
21. Pendant l'intersession, j'ai également continué à examiner les possibilités d'organisation d'une mission de promotion en République du Soudan, en ma qualité de Commissaire responsable de ce pays. J'ai également rencontré plusieurs organisations de la société civile, notamment le 12 février des représentants de la Fédération internationale des Droits de l'Homme (FIDH).
22. Le 26 mars 2014, j'ai rencontré des représentants de Citizens for Peace and Justice, un réseau de la société civile qui a pour ambition de coordonner les réponses à la flambée de violence au Soudan du Sud. La Réunion a, entre autres sujets, débattu des options susceptibles de faciliter la ratification de la Charte africaine par le Gouvernement du Soudan du Sud.
23. Au cours de l'intersession, j'ai également rédigé un article intitulé : « Priorité à la Police et aux Droits de l'Homme dans le Mandat de la Commission » et paru dans le Bulletin N° 004, Police et Droits de l'Homme en Afrique.
24. Le 24 avril 2014, au nom de la Présidente de la Commission africaine, je suis intervenu à la séance d'ouverture du Forum des ONG, organisé à Luanda, en Angola.
25. Le 25 avril 2014, j'ai pris la parole à l'occasion d'un événement parallèle organisé par la Commission des Droits de l'Homme du Kenya sur le thème : « Promotion du cadre normatif des Droits de l'Homme africains dans les processus de révision constitutionnelle en Afrique ».
A : Contexte normatif
26. La présente section du Rapport est préparée en application de l'un des termes de référence du CPTA, qui requiert du Comité qu'il rende compte à chaque Session ordinaire de la Commission africaine de la mise en œuvre des Lignes directrices de Robben Island.[7]
27. Les Lignes directrices de Robben Island définissent, pour les acteurs étatiques et non-étatiques africains, des orientations concrètes sur la manière de mettre en œuvre les dispositions de l'article 5 de la Charte africaine, qui dispose que : « Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes formes d’exploitation et d’avilissement de l’homme notamment l’esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et les peines ou les traitements cruels inhumains ou dégradants sont interdites. »[8]
28. Les Lignes directrices de Robben Island définissent des orientations pour l'interdiction de la torture, la promotion de la coopération avec les mécanismes internationaux, la criminalisation de la torture, le non-refoulement, la lutte contre l'impunité, les procédures relatives aux plaintes et aux enquêtes, les garanties applicables aux personnes privées de liberté, les conditions de détention, les mécanismes de contrôle, la formation et la responsabilisation, la sensibilisation et la responsabilisation de la société civile et la prise en charge des besoins des victimes.[9]
B : Portée, types et cas de torture et de mauvais traitements en Afrique
29. Au cours de l'année 2013, l'utilisation de la torture par des éléments des forces de l'ordre et de sécurité et, parfois, par des milices armées ou des acteurs privés, est un phénomène courant en Afrique, des cas ayant été signalés dans de nombreux pays africains. Des actes de torture ont été commis sur des membres de partis ou de mouvements de l'opposition politique, des militants des droits de l'homme et des prisonniers.[10]
30. Les catégories de personnes plus exposées au risque de torture comprenaient les opposants politiques et même les manifestants pacifiques, comme en témoignent les réponses apportées à certaines manifestations pacifiques dans des pays[11] comme l'Egypte. Les personnes suspectées d'être des « terroristes » sont aussi très exposées au risque de torture.[12]
31. De nombreuses informations et allégations crédibles relatives à des actes assimilables à la torture ou aux mauvais traitements au cours de la période objet du rapport ont été notées par le CPTA dans le cadre de ses efforts de mise en œuvre des Lignes directrices de Robben Island :
a. En Angola, des informations se rapportant à des allégations de torture et de mauvais traitements concernaient, notamment, des passages à tabac et autres abus perpétrés au cours des interrogatoires par les forces de sécurité.[13] Ainsi, un jeune a eu les ongles de la main arrachés et a aussi été sévèrement battu après avoir participé à des manifestations anti-gouvernementales.[14]Des immigrants illégaux d'Afrique de l'Ouest et de certains pays asiatiques auraient été victimes d'actes de violence et de mauvais traitements dégradants.[15] Les sociétés fournissant des services de sécurité aux compagnies privées de l'industrie du diamant ont aussi commis des actes assimilables à des tortures sur des travailleurs miniers.[16]
b. En République centrafricaine, les rebelles de la Seleka et les milices anti-balaka ont été accusés d'avoir respectivement torturé, tué et violé des Chrétiens et des Musulmans.[17]
c. En Erythrée, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la Situation des Droits de l'Homme en Erythrée a rendu compte des peines sévères infligées à des parents de personnes qui avaient fui l'Erythrée, souvent sous la forme d'arrestations et de placement en détention, parfois de longues périodes de détention dans des conditions inhumaines et des mauvais traitements systématiques.[18]
d. En Ethiopie, la police et les forces de sécurité ne rendent pas compte des actes de torture et de mauvais traitement commis sur les détenus, les journalistes et les membres des partis d'opposition. Exemples de types de torture infligés aux victimes : « Etre maintenu dans des positions douloureuses pendant des heures interminables, (et) être pendu au mur par les poignets, souvent en étant frappé. »[19]
e. Au Ghana, de nombreuses personnes souffrant d'un handicap mental continuent de vivre dans des hôpitaux psychiatriques et des « camps de prières », souvent contre leur volonté et avec peu de possibilités de dénoncer leur détention.[20] Ils sont confrontés à des conditions de surpeuplement et d'absence d'hygiène dans ces hôpitaux, tandis que ceux qui séjournent dans les camps de prière ne reçoivent pas de traitement médical approprié et sont souvent contraints de prendre des décoctions et sont privés de nourriture et d'eau pendant plusieurs jours.[21]
f. Au Kenya, les forces de sécurité ont été accusées de procéder à des exécutions extrajudiciaires de personnes suspectées d'être des terroristes. En 2012, 2013 et 2014, trois (3) Imams musulmans, au moins (Sheikh Aboud Rogo, Sheikh Ibrahim Omar et Sheikh Abubakar Shariff alias Makaburi) ont été abattus dans les rues de Mombasa par des assaillants qui n'ont jusqu'ici pas été arrêtés.[22] Les réfugiés et demandeurs d'asile, en particulier de l'ethnie somalie ou de la Somalie et de l'Ethiopie, notamment 1 000 individus au moins, ont aussi été victimes d'arrestations arbitraires, de tortures et de mauvais traitements, entre la mi-novembre 2012 et la fin du mois de janvier 2013,[23] pour avoir été suspectés de s'être livrés à attentats à la grenade et à la bombe contre des cibles civiles kenyanes.
g. En Lybie, la torture et les mauvais traitements demeurent une préoccupation constante et une pratique courante dans de nombreux centres de détention.[24] La torture aurait été utilisée pour extorquer des aveux aux prisonniers.[25] Diverses milices du pays auraient aussi été responsables d'actes de torture, d'autres abus et d'exécutions.[26]
h. En mars 2013, des soldats maliens auraient commis des actes de torture sur des membres des groupes armés touaregs, dans les environs de Tombouctou. Les techniques de torture ci-après ont notamment été utilisées : passages à tabac, coups de pied, brûlures, injection d'une substance caustique, menaces de mort, projection à terre d'individus ligotés, simulations de noyade assimilables au « waterboarding » et ligotage des détenus et application de papiers enflammés sur leur dos.[27] Deux hommes touaregs arrêtés le 15 février 2013 et torturés par des soldats maliens dans la région de Tombouctou sont décédés en détention à la Prison centrale de Bamako.[28]
i. En Mauritanie, si l'esclavage a été criminalisé en 2007, des mesures efficaces en termes sociaux, éducatifs et de poursuites, n'ont pas été prises pour éradiquer la pratique de l'esclavage dans le pays. [29]
j. Au Nigeria, la torture, le viol, les assassinats, les attentats à la bombe, les enlèvements et autres attentats perpétrés par les terroristes de Boko Haram se sont poursuivis en 2013, provoquant de nombreux décès, des lésions et la destruction généralisée de biens. Les membres des forces de sécurité auraient aussi perpétré des actes de torture, des assassinats extrajudiciaires et autres violations, en particulier sur les détenus.[30]
k. En Somalie, de graves abus, notamment des assassinats, des exécutions et des punitions assimilables à des actes de torture, ont été perpétrés par les forces de sécurité somaliennes ainsi que d'autres groupes armés, comme al-Shabaab. Des journalistes, des anciens des clans et autres responsables ont été tués et des déplacés internes ont été victimes d'abus, frappés, expulsés de force et soumis à de sévères restrictions en termes d'accès à la nourriture et à des abris.[31] En outre, les Etats-Unis d'Amérique auraient continué à utiliser des drones pour traquer les miliciens en Somalie. Cent-douze (112) militants somaliens auraient été tués au cours de ces raids.[32]
l. Au Soudan, la Sécurité nationale et les services de renseignement ont continué d'exercer de très larges pouvoirs en matière d'arrestation et de détention des personnes pendant plus de quatre mois, sans contrôle juridictionnel et tout en bénéficiant parallèlement de l'immunité de toutes poursuites civiles et pénales.[33]
C : Evolutions positives dans les domaines de l'interdiction de la torture et des mauvais traitements et de la protection contre ces pratiques en Afrique
32. La Convention contre la Torture (CAT) et les Autres Traitements ou Peines cruels, inhumains et dégradants appelle, en particulier, les Etats à criminaliser la torture. Les quarante-quatre (44) pays africains ci-dessous sont ceux qui ont ratifié la CAT à ce jour : Algérie, Bénin, Botswana, Burkina Faso, Burundi, Cap-Vert, Cameroun, Tchad, République du Congo, Côte d'Ivoire, République démocratique du Congo, Djibouti, Egypte, Guinée-équatoriale, Ethiopie, Gabon, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Kenya, Lesotho, Liberia, Libye, Madagascar, Malawi, Mali, Mauritanie, Maurice, Maroc, Mozambique, Namibie, Niger, Nigeria, Rwanda, Sénégal, Seychelles, Sierra Leone, Somalie, Afrique du sud, Swaziland, Togo, Tunisie, Ouganda et Zambie.
33. Cinq (5) autres pays ont signé la Convention : Angola, Comores, Gambie, Sao Tomé-et-Principe et Soudan.
34. La Guinée-Bissau a ratifié la CAT le 24 septembre 2013, l'Angola ayant signé la Convention à la même date.
35. Le Protocole facultatif à la CAT (OPCAT) a pour but essentiel la mise en place de Mécanismes nationaux de Prévention (MNP). Treize (13) Etats africains ont ratifié l'OPCAT : Bénin, Burkina Faso, Burundi, République démocratique du Congo, Gabon, Liberia, Mali, Mauritanie, Maurice, Nigeria, Sénégal, Togo et Tunisie.
36. Douze (12) autres Etats l'ont signée : Angola, Cameroun, Cap-Vert, République du Congo, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Madagascar, Sierra Leone, Afrique du Sud et Zambie.
37. La Guinée-Bissau a ratifié l'OPCAT le 24 septembre 2013, tandis que l'Angola a signé la Convention le 24 septembre 2013.
38. En application des dispositions de l'OPCAT, six (6) Etats africains (Mali, Maurice, Nigeria, Sénégal, Togo et Tunisie) ont désigné trois MNP.[34] Le Mali et Maurice ont chargé leurs Institutions nationales des Droits de l'Homme d'agir en qualité de MNP, tandis que d'autres ont mis en place de nouvelles institutions.[35]
39. Les Constitutions ou les législations pénales des quarante-six (46) Etats africains suivants comportent des dispositions interdisant la torture et les mauvais traitements : Algérie, Bénin, Botswana, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Cap-Vert, République centrafricaine, Tchad, Côte d'Ivoire, République démocratique du Congo, Djibouti, Egypte, Guinée-équatoriale, Ethiopie, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Kenya, Lesotho, Liberia, Libye, Madagascar, Malawi, Mali, Mauritanie, Maurice, Maroc, Mozambique, Namibie, Niger, Nigeria, Rwanda, Sao Tomé-et-Principe, Sénégal, Seychelles, Sierra Leone, Afrique du sud, Swaziland, Togo, Tunisie, Ouganda et Zambie.[36]
40. Les processus d'intégration de la CAT et de l'OPCAT ont été menés à un rythme soutenu en 2013. La Libye et l'Afrique du Sud ont promulgué des textes de lois criminalisant la torture, respectivement en avril et juillet 2013, tandis que la Tunisie a adopté une loi portant création d'un MNP en octobre 2013.
41. Présentation de certaines des mesures novatrices de lutte contre la torture prises par les Etats africains en 2013 :
a. Le 25 juillet 2013, l'Afrique du Sud a promulgué la Loi sur la Prévention de la Torture des Personnes et la Lutte contre cette pratique qui criminalise la torture et prévoit l'ouverture de poursuites contre les auteurs de tels actes.[37] Par ailleurs, une décision très importante de la Cour suprême d'Appel d'Afrique du Sud ordonne à la Police sud-africaine d'instruire les crimes contre l'humanité, notamment les tortures contre les membres de l'opposition zimbabwéenne en 2007. La Cour a conclu que, en vertu de la législation internationale, l'Afrique du Sud a le devoir d'instruire les crimes contre l'humanité au Zimbabwe, une fois que les auteurs de ces derniers se retrouvent sur le territoire sud-africain.[38]
b. Le 9 octobre 2013, l'Assemblée nationale constituante de Tunisie a adopté une loi créant une Autorité nationale pour la Prévention de la Torture et les autres Traitements ou Peines cruels, inhumains et dégradants. Cette Autorité est chargée de visiter tous les sites dans lesquels des personnes sont privées de liberté pour faire le point sur les actes de torture et de mauvais traitement, demander l'ouverture d'enquêtes pénales et administratives et faire des recommandations en faveur de la prise de mesures d'éradication de la torture et des mauvais traitements.[39]
c. En Ouganda, suite à l'adoption de la loi contre la torture, promulguée en juillet 2012, la Commission des Droits de l'Homme d'Ouganda a lancé une étude faisant le détail des éventuelles compensations dont pourraient bénéficier les survivants souhaitant la justice et la réhabilitation.[40]
d. Le Pouvoir judiciaire du Kenya a consacré de formidables avancées en faveur du dédommagement des victimes. En 2013, les tribunaux kenyans ont continué à rendre des décisions accordant d'importants dédommagements aux victimes d'actes de torture commis avec l'aval de l'Etat.
e. Au Ghana, l'Autorité de la Santé mentale, chargée de contrôler les structures de santé mentale, a été portée sur les fonts baptismaux en novembre 2013.
42. Certaines des institutions sous-régionales du continent ont également pris des mesures positives en 2013 pour garantir la protection contre la torture et les mauvais traitements. Le 5 novembre 2013, la Cour de Justice de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a rendu une décision rejetant la demande de l'ancien Président Hissène Habré visant la suspension des poursuites engagées contre lui par les Chambres africaines extraordinaires, la cour spéciale devant laquelle il est poursuivi pour tortures, crimes contre l'humanité et crimes de guerre.[41]
43. En 2013, la Commission africaine a, enfin, procédé à un certain nombre d'interventions en faveur de la protection contre la torture et les mauvais traitements :
a. Dans sa décision relative à la Communication 368/09 - Abdelhadi Ali Radi et autres c/ République du Soudan, la Commission juge cet Etat coupable de violation de certaines dispositions de la Charte africaine, notamment de son article 5 sur l'interdiction de la torture et des mauvais traitements. La Commission africaine a, notamment, demandé au Gouvernement de payer des dédommagements adéquats aux victimes, d'ouvrir des enquêtes efficaces et impartiales sur les circonstances de l'arrestation et du placement en détention des Plaignants et le traitement auquel ils ont été ensuite soumis, d'amender les dispositions législatives qui sont en contradiction avec la Charte et de former les personnels de sécurité en leur enseignant les normes pertinentes relatives au respect des garanties aux personnes incarcérées et de l'interdiction de la torture.
b. Dans sa décision relative à la Communication 288/04 – Gabriel Shumba c/ République du Zimbabwe, la Commission estime que le gouvernement du Zimbabwe a violé l'article 5 de la Charte africaine sur l'interdiction de la torture. La Commission a, notamment, demandé au Zimbabwe de payer des compensations adéquates aux victimes de la torture et des traumatismes subis et de procéder à une enquête et une instruction afin de présenter à la justice les auteurs de ces violations.
c. Le 26 juin 2013, à l'occasion de la Journée internationale pour le soutien aux victimes de la torture, M. Jean-Baptiste Niyizurugero, Vice-Président de la CPTA, a fait une déclaration sur les moyens de promouvoir la justice et les réparations pour les victimes de torture.[42]
d. Au cours de sa 15ème Session extraordinaire, dont les travaux se sont tenus du 7 au 14 mars 2014, à Banjul, en Gambie, la Commission a adopté des résolutions : sur la République centrafricaine pour condamner les attentats des éléments anti-Balaka et ex-Séleka et appeler le Gouvernement de Transition à prendre les mesures nécessaires afin de mettre un terme aux actes de violence perpétrés contre des civils, sur le Nigeria pour condamner les violences exercées contre les populations civiles et appeler le Gouvernement à traduire en justice les auteurs de ces actes, sur la Somalie pour appeler à la fin des harcèlements et des intimidations contre les journalistes et, enfin, sur le Soudan du Sud pour appeler à la cessation des agressions contre les civils et à la traduction en justice des auteurs de ces actes.
IV: Recommandations
44. Je souhaite saisir cette occasion pour rappeler aux Etats Parties à la Charte africaine qu'ils ont le devoir et la responsabilité solennels et constants de respecter les droits humains fondamentaux et de se conformer à la lettre et à l'esprit de l'état de droit. Trop souvent, les Etats ont eu tendance à prendre des raccourcis, par exemple en torturant les suspects, pour tenter de leur soutirer des informations prétendument nécessaires à la lutte contre des fléaux comme le terrorisme. Des informations crédibles existent sur des cas dans lesquels les forces de sécurité auraient choisi de tuer des suspects, au lieu de les soumettre à la justice, au motif que les procédures judiciaires sont complexes et pourraient déboucher sur des acquittements. La Commission africaine doit continuer d'affirmer l'idée que la torture et les mauvais traitements, les assassinats extrajudiciaires et tous les autres actes de violation de la législation sanctionnés par l'Etat sont inacceptables et constitutifs de violations extrêmes des droits de l'homme.
45. Je partage le point de vue, exprimé par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la Torture et les autres Traitements ou Peines cruels, inhumains et dégradants,[43] selon lequel certaines pratiques constitutives d'abus observées dans les structures de santé pourraient être assimilables à des actes de torture ou de mauvais traitement. J'exhorte les Etats Parties à veiller à ce que les traitements obligatoires dans les structures de santé mentale, les avortements et les stérilisations forcées, les mutilations génitales féminines, les traitements psychiatriques forcés et les traitements médicaux non consensuels de nature intrusive et irréversible sans objectif thérapeutique ou visant à corriger ou atténuer un handicap ne soient pas assimilables à des tortures ou des mauvais traitements.
46. J'exhorte les Etats à reconnaître que les personnes souffrant d'un handicap intellectuel et psychosocial sur leur territoire peuvent vivre, dans les institutions psychiatriques desdits Etats, des situations assimilables à la torture et aux mauvais traitements. Les Etats devraient prendre des mesures positives pour faire de telle sorte que les institutions psychiatriques ne restent pas des foyers pour les actes de torture et de mauvais traitement sur des personnes souffrant de handicaps intellectuels et psychosociaux.
47. J'exhorte aussi les Etats Parties à veiller à ce que la torture ou les mauvais traitements ne soient pas infligés à des individus du fait de leur orientation ou de leur identité sexuelle. Les Etats devraient, en particulier, s'abstenir d'adopter des politiques ou une législation susceptibles d'avoir pour effet d'encourager les actes de torture ou de mauvais traitements du fait de telles caractérisations par des structures étatiques, des personnes privées ou d'autres entités. Les Etats devraient prendre des mesures législatives et administratives interdisant et réprimant toutes les formes de violence, notamment la violence ciblant des personnes sur la base de leur orientation sexuelle ou de leur identité sexuelle supposées ou réelles.
48. Enfin, à l'instar de mon prédécesseur à la tête de la CPTA, qui l'a fait plus d'une fois, j'exhorte les Etats qui ne sont pas encore parties à la CAT et à l'OPCAT, ainsi que les Etats qui n'ont pas intégré dans leur législation ces instruments des droits de l'homme, à envisager de le faire en priorité. Je prie les Etats à inviter le Comité à effectuer dans leur pays des visites au cours desquelles ledit Comité pourrait leur fournir un appui politique et technique afin de garantir l'interdiction de la torture et des mauvais traitements et la protection contre ces pratiques.
[1] http://www.achpr.org/sessions/54th/resolutions/254/ (consulté le 17 avril 2014).
[2] http://www.achpr.org/sessions/54th/resolutions/250/ (consulté le 17 avril 2014).
[3] http://www.achpr.org/press/2013/12/d182/ (consulté le 17 avril 2014).
[4] http://www.achpr.org/press/2014/03/d193/ (consulté le 7 avril 2014).
[5] ‘Comments invited on Draft Protocol on the Rights of Persons with Disabilities in Africa’ Draft II, 14 March 2014 http://www.achpr.org/news/2014/04/d121.
[6] http://www.achpr.org/sessions/54th/resolutions/253/ (consulté le 18 avril 2014)
[7] http://www.achpr.org/mechanisms/cpta/ (consulté le 18 avril 2014).
[8] Site web de la Commission africaine http://www.achpr.org/instruments/achpr/.