Mali: Mission sur Prisons et conditions de détention, 1998

partager

J'ai visité les prisons du Mali, avec l'accord du gouvernement, du 20 au 30 août 1997. Cette visite m'a conduit dans les prisons et centres de détention de Bamako, Tombouctou, Goundam, Mopti, Baguineda et Kati. Un rapport sur cette visite comprenant les commentaires du gouvernement malien a été publié en 1998, puis largement diffusé.

 

Les recommandations constituent une partie importante de ce rapport . C'est donc tout à l'honneur du gouvernement malien (ci-après "le gouvernement") si les commentaires qu'il m'a envoyés après réception de mon rapport font état des mesures prises pour mettre en oeuvre certaines de mes recommandations. L'impact du travail du Rapporteur spécial sera d'autant plus grand que celui-ci pourra retourner sur les lieux déjà visités pour voir si ses recommandations sont mises en oeuvre et des changements sont intervenus entre deux missions. En outre, la visite d'autres lieux - des prisons dans le cas qui nous concerne - que ceux visités lors des mission précédentes permet de mesurer l'impact des visites antérieures sur l'ensemble des prisons et des conditions de détention en général. Ces réflexions ont présidé à ma décision de retourner au Mali. Au cours de cette deuxième visite qui s'est déroulée du 26 novembre au 6 décembre 1998, je me suis rendu dans les établissements et centres de détention de Bamako, Kati, Bollé, Koulikoro, Mopti et Kayes.

 

J'ai particulièrement apprécié le fait que le gouvernement m'ouvre les portes des prisons deux fois en l'espace de quinze mois. Loin de me décourager, le fait que ma visite soit ajournée de quelques mois (elle devait au départ avoir lieu au cours du troisième trimestre 1998) n'a fait qu'accroître mon intérêt et a montré avec quel sérieux le gouvernement envisageait les questions de réforme pénitentiaire.

 

Recommendations

 

Au gouvernement malien

La durée de la détention préventive constitue un problème...

Bien que la surpopulation ait en général été moins grave que lors de ma visite précédente, les responsables, perspicaces, ont attribué la situation au fait que nombre de personnes travaillaient aux récoltes dans des fermes. Il faut par conséquent que la surpopulation continue d'attirer l'attention des autorités. Si le problème de la détention préventive est résolu, la surpopulation disparaîtra. Par conséquent, de la solution du problème de la détention préventive dépend la solution d'autres questions urgentes. Et la séparation des catégories de détenus (séparer les prévenus des condamnés) sera plus facile à respecter.

La séparation des fonctionnaires des autres prisonniers semble trop ancrée dans les habitudes pour pouvoir être modifiée. Le fait que les autres détenus ne se soient pas plaints de cette séparation semble militer en faveur de la séparation actuelle. Cela n'en est pas moins gênant au regard de l'égalité de traitement. Quoi qu'il en soit, dans la mesure où les quartiers réservés aux fonctionnaires sont beaucoup plus propres et spacieux que les autres, ils devraient servir de modèle.

Les conditions éprouvantes dues à la surpopulation pourraient être améliorées si l'on permettait à des groupes de prisonniers de sortir des cellules chacun leur tour.

Les directeurs des établissements de Kati et de Souba devraient veiller à ce que les barreaux posés respectivement sur la véranda et à l'entrée des cellules remplissent leur rôle ; les portes des cellules devraient rester ouvertes la majeur partie de la journée pour que l'air de l'extérieur puisse y pénétrer.

Il faut viser à l'égalité de traitement des prisonniers et atteindre ce but. En particulier dans le domaine de la nourriture. Certaines prisons, comme la prison centrale de Bamako, distribuent des repas trois fois par jour tandis que d'autres, telle la prison de Mopti, en servent deux et d'autres encore une seule fois par jour. Il faut néanmoins reconnaître que les prisonniers de ces derniers établissements ont déclaré qu'une double portion était cuisinée en une seule fois. Il faudrait examiner les moyens d'améliorer la qualité des repas : à Mopti, par exemple, fournir de la sauce permettrait en partie d'atteindre cet objectif.

Comme dans le cas de Mopti, le Rapporteur spécial a pris note des dispositions adoptées pour la construction d'un mur, ce qui permettra aux surveillants de laisser sortir les prisonniers dans la cour plus longtemps, comme à Kayes et Koulikoro. Davantage d'air pur, en particulier dans les établissements surpeuplés, rendra la peine plus  humaine. Il faudrait trouver une solution pour nourrir les personnes placées en garde à vue par la police ou incarcérées dans des cellules de gendarmerie, en particulier celles qui n'ont pas de famille pouvant leur apporter de quoi se nourrir. Il faudrait également protéger des moustiques les personnes placées en garde à vue par la police ou  incarcérées dans des cellules de gendarmerie.

Soins médicaux : Fournir les analgésiques les plus courants pour soulager la douleur ou assurer les traitements d'urgence permettra d'améliorer les conditions de détention. Il est vrai que certaines prisons reçoivent des médicaments des autorités. Un problème plus grave, qui pourrait être facilement résolu, a été soulevé à la prison de Kayes. Lorsque des prisonniers malades sont envoyés à l'hôpital, le personnel médical s'occupe de tous les autres patients puis se déclare trop fatigué quand vient le tour  des prisonniers. Considérés comme la lie de la société, les prisonniers ont toutes les chances d'être éconduits ou placés à la fin d'une longue queue. Le volume de travail étant très important, le danger est alors réel que personne ne s'occupe d'eux. Une solution pourrait être la suivante : avec l'accord des autorités médicales, une heure précise de la consultation, ou une partie de cette heure, pourrait être réservée aux prisonniers.

Châtiments corporels, violences, torture Il semblerait que la police et les gendarmes se livrent davantage à des violences sur la personne des détenus que les  surveillants. La formation des policiers aux droits de l'homme devrait se poursuivre et s'intensifier.

Hygiène. Le savon demeure un bien de première nécessité rare. S'il devait être fourni aussi régulièrement que nécessaire pour une hygiène satisfaisante, tant personnelle qu'environnementale, le savon serait un bien coûteux. Mais une fabrication traditionnelle du savon réduirait les coûts, le rendrait disponible en quantité suffisante et enseignerait un métier qui pourrait être exercé après la sortie de prison. En outre, frotter les cellules au savon augmenterait la propreté là où cela s'avère nécessaire dans les locaux. Puisqu'il a été dit de certaines prisons qu'elles avaient des ateliers de fabrication du savon, il ne devrait pas être trop compliqué de transférer ce savoir-faire à d'autres établissements, auquel cas ce produit de première nécessité serait à portée de main de tous les prisonniers. Dans le même ordre d'idée, les prisonniers pourraient avoir recours au substitut traditionnel du papier hygiénique.

B. Communautés musulmanes, Églises et autres institutions caritatives

 

Construire une nation est une charge que le gouvernement à lui seul ne peut supporter. Les organisations, qu'elles soient religieuses ou civiles, doivent prendre au sérieux l'amélioration des conditions de détention et contribuer à sa réalisation. Rendre visite aux prisonniers est une responsabilité prescrite par Et il est fort probable que les fidèles de toutes les religions ont cette même responsabilité.

Les groupes ci-dessus mentionnés devraient donc s'efforcer de rendre visite aux prisonniers et de leur fournir ce dont ils ont besoin, en particulier à ceux qui n'ont pas de famille dans la région où ils sont détenus. La société civile pourrait par exemple fournir aux prisonniers dans le besoin les enveloppes et le nécessaire pour écrire.

Heureusement, le gouvernement du Mali est suffisamment ouvert pour permettre à la société civile de pénétrer dans les prisons ; cela ressort de ce qui a été dit lors de la réunion des ONG où il a été question des améliorations dues à l'intervention de ces mêmes ONG. Il faudrait tirer parti de cette situation, fondamentalement saine, pour faire en sorte que le Mali conserve un régime pénitentiaire humain.

C. La communauté internationale

Une contribution à la satisfaction des besoins médicaux (pour ce qui est des médicaments, par exemple) soutiendrait les efforts déployés par le gouvernement du Mali en vue de la réforme pénitentiaire.

De la même manière, une bonne contribution consisterait à aider à la mise en place d'ateliers qui occuperaient les prisonniers et leur feraient acquérir ou améliorer des compétences qui pourraient être utilisées après leur libération. La prison de Kayes dispose d'une enceinte où cette aide pourrait se concrétiser.

D. A tous

 

Comme l'ont fait remarquer les surveillants de Kayes et d'ailleurs, lorsque des gens robustes participent à une activité économique, comme c'est le cas pendant la saison des récoltes, la criminalité est faible et, par voie de conséquence, il en va de même pour la population carcérale. Toutes les parties, le gouvernement, la société civile et la communauté internationale devraient envisager l'idée de créer des ateliers hors de la prison pour diminuer la criminalité, améliorer la capacité des jeunes et des moins jeunes à gagner de l'argent, ce qui élèverait le niveau de vie au Mali.

Assis sur la rive du fleuve Sénégal, à Kayes, j'ai admiré non seulement la nature, mais aussi l'usage que font les hommes et les femmes, jeunes ou vieux, de l'eau. J'ai vu  es jardins potagers le long du fleuve.Dans l'intérêt de la réforme pénitentiaire et dans celui plus vaste du pays tout entier, les intellectuels, les économistes, les cultivateurs, tous devraient chercher comment ce que la nature a offert au Mali peut être utilisé par les Maliens, afin qu'ils soient occupés et restent éloignés de l'illégalité.