Déclaration de la Rapporteure spéciale sur les Réfugiés, les Demandeurs d’asile, les Personnes déplacées et les Migrants en Afrique, à l’occasion de la célébration de la Journée Mondiale des Réfugiés, 20 juin 2024

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« Pour un monde qui accueille les personnes réfugiées »

Pour célébrer la Journée Mondiale du Réfugié dans son édition de 2024, le thème choisi par le Haut- Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) est axé sur la solidarité : « Pour un monde qui accueille les personnes réfugiées ». 

Ce thème resonne fortement dans le contexte africain, confronté aujourd’hui à un véritable défi concernant son hospitalité légendaire, mise à rude épreuve par tous les événements qui se produisent et par le nombre de plus en plus croissant de demandeurs d'asile et de réfugiés qui ont besoin de protection, de soins , d’aide et d'assistance pour se construire, mais qui ne peuvent malheureusement les obtenir, les États d'accueil étant trop souvent impuissants face au poids très lourd de cette prise en charge. Le manque de moyens impacte directement les conditions d’accueil et de nombreux demandeurs d’asile ou réfugiés sont « laissés pour compte » et « abandonnés à leur sort ».

Cette année encore, dans beaucoup de régions d’Afrique, les crises, les violences politiques et les conflits armés, les violations des droits humains et les persécutions, la dégradation des conditions socio-économiques ainsi que les nombreuses catastrophes naturelles dues au changement climatique, ont contraint des millions de personnes à fuir leur foyer à la recherche de sécurité, de paix et d’une vie sûre dans la dignité.

Selon les derniers chiffres avancés par le Haut- Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés , le monde connait aujourd’hui plus de 120 millions de déplacés de force, un record jamais atteint. Près de 44 millions d’entre eux sont des réfugiés et des demandeurs d’asile (une augmentation de 7% par rapport à 2023) . Malheureusement, un grand nombre de ces personnes est en Afrique : 5 430 153 dans la région de l’Afrique de l’Est et des Grands Lacs , -le Soudan lui seul comptabilisant près de 2 millions, représentant la plus grande crise de réfugiés en Afrique-, 3 324 428   dans l’Afrique de l’Ouest et Centrale, tandis que l’Afrique Australe totalise 10 056 557 de réfugiés et demandeurs d’asile  .

La majorité de ces réfugiés et demandeurs d’asile, contrairement à certaines informations ou idées reçues, restent à proximité de leurs pays d’origine et vont chercher à trouver refuge dans des pays proches, souvent des pays à revenu faible ou intermédiaire .

En dépit des efforts déployés par les Etats africains, les agences humanitaires et différentes parties prenantes, la situation des réfugiés et demandeurs d’asile dans notre continent demeure préoccupante. Beaucoup d’entre eux, particulièrement les plus vulnérables tels les femmes et les enfants, subissent de nombreuses violations de leurs droits humains : refoulements, expulsions collectives, détentions arbitraires, extorsions, exploitation, violences sexistes, ainsi que les conditions de vie précaires dans les sites et camps formels et informels où elles sont accueillies. Nombreux parmi eux sont dans l’impossibilité de jouir ce certains de leurs droits sociaux économiques, notamment le droit à l’éducation, droit à la santé ou droit au travail.

La situation est d’autant plus alarmante que le financement des réponses humanitaires et des aides pour les réfugiés et les demandeurs d’asile continuent de souffrir de restrictions sans précédent dues à la limitation des financements des programme d’aide et d’assistance, alors que l’urgence humanitaire ne cesse de croitre dans de nombreux pays africains, tels le Soudan, le Soudan du sud, la République démocratique du Congo, la Somalie, l’Ethiopie… 

En dépit de leur grande résilience, les demandeurs d’asile et les réfugiés demeurent néanmoins tributaires de la solidarité nationale, régionale et internationale. 

Les réfugiés de longue date représentent une préoccupation majeure et les solutions durables peinent à s’inscrire dans les réponses que devraient adopter les Etats africains afin de permettre à ces derniers d’en finir avec une situation d’assistanat de génération en génération et de retrouver une vie respectant leur dignité humaine.

Plus que jamais, « l’esprit de solidarité africaine et de coopération internationale », consacré il y a 55 ans par la Convention de l’OUA régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique (1969), doit être actionné pour alléger le fardeau sur les Etats qui accueillent le plus de réfugiés et de demandeurs d’asile.

Plus que jamais, le principe fondamental de solidarité et de partage des charges, rappelé par le Pacte mondial sur les réfugiés en 2018 doit être opérationnalisé par les Etats et toutes les autres parties prenantes. 

« Un monde qui accueille les personnes réfugiées », thème de cette année pour la journée mondiale des réfugiés, suppose que l’on redonne à ces personnes leur place au sein des différentes communautés (d’origine, d’accueil ou de réinstallation) en leur offrant la possibilité de se départir de ce statut de réfugié qui parfois stigmatise et impacte leur vie pour de longues années voir des générations ; un statut certes qui protège mais d’autres fois  qui enferme dans une case dont il est difficile de sortir.

« Un monde qui accueille les personnes réfugiés » implique la mise en œuvre des solutions durables pour les réfugiés et les demandeurs d’asile, que ce soit par le retour volontaire librement consenti, l’intégration locale ou encore la réinstallation.

Aujourd’hui, 20 juin 2024, nous commémorons non seulement la Journée Mondiale des Réfugiés, mais également l’année du 50 ème anniversaire de l’entrée en vigueur de la Convention de l’OUA sur les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique.

Cette double commémoration présente une occasion ultime pour rappeler aux Etats africains, toujours dans un esprit de solidarité et de partage, leurs responsabilités en matière de traitement beaucoup plus efficace et plus rapide des demandes d'asile. 

La protection des réfugiés et demandeurs d’asile devrait par ailleurs être rattachée à d'autres intérêts fondamentaux, tels la santé, l'avenir des jeunes et l'inclusion sociale. 

Car, rappelons-le, l’inclusion des réfugiés et demandeurs d'asile dans les systèmes socio-économiques nationaux leur permet de mener une vie décente, d'accéder aux services publics, tout en contribuant pleinement aux économies locales de leur pays d’accueil, comme souligné dans la Résolution CADHP/Res.565 (LXXVI) 2023 sur l'inclusion des réfugiés, des demandeurs d'asile, des déplacés internes et des apatrides dans les systèmes socio-économiques nationaux, les services et les opportunités économiques en Afrique.

En cette journée, nous félicitons et encourageons également la poursuite des bonnes pratiques initiées par plusieurs pays du continent qui ont adopté des mesures législatives et administratives visant à intégrer et à mettre en oeuvre les instruments relatifs aux réfugiés et aux droits de l’homme internationaux et régionaux, pour donner effet aux droits des réfugiés et des demandeurs d'asile. 

Nous encourageons par ailleurs les Etats africains qui ne l’ont pas encore fait, à élaborer des législations sur l’asile et créer des institutions nationales de protection des réfugiés. 

Enfin, cette commémoration est une opportunité pour inviter l’Union africaine à mettre en œuvre la Position Africaine Commune (PAC) sur l'efficacité  humanitaire, qui prévoit de prendre des mesures spécifiques pour intégrer les besoins humanitaires et les questions de déplacement dans les plans de développement nationaux et locaux ; la nécessité d’ancrer l'action humanitaire dans des stratégies et des plans inclusifs appropriés ; ainsi que la mise en place des mesures ciblées pour renforcer une approche inclusive intégrant les  dimensions humanitaires dans les plans de développement locaux, nationaux et régionaux, ceci en vue de permettre une véritable solidarité  et l’accueil effectif des réfugiés.

L’opérationnalisation de l’Agence Humanitaire Africaine (AHA) en la dotant de moyens réels d’action pourrait également permettre de mettre en œuvre le principe de solidarité envers les réfugiés et demandeurs d’asile, tout en apportant des « solutions africaines aux problèmes africains ».

Hon Commissaire Selma Sassi-Safer
Rapporteure Spéciale sur les réfugies, les demandeurs d’asile, les déplacés internes et les migrants en Afrique