Décision de la Commission sur le fond Par ces motifs, la Commission
Déclare que la République Démocratique du Congo a violé les dispositions des articles 1, 2, 3, 4, 8, 14, 16, 17 (1)-(3), 21, 22 et 24 de la Charte Africaine.
Déclare que la forêt de Kahuzi- Biega constitue depuis les temps immémoriaux le foyer ancestral du peuple Batwa. En conséquence, l’occupation de cette forêt par le peuple batwa est primordiale pour leur survie et le maintien de leur identité culturelle.
Déclare que l’occupation de la forêt de Kahuzi- Biega ne constituait aucun danger pour la biodiversité et que, par conséquent, cette dernière est une propriété coutumière que la République Démocratique du Congo a l’obligation de reconnaitre et protéger en vertu du droit international par une mise en place d’une loi sur les propriétés coutumières.
Déclare que les modèles de conservation forteresse fondés sur l’exclusion des peuples autochtones de leurs terres ancestrales sans leur consentement libre et préalable sont inefficaces, et rappelle que, dans des cas où ces conservations sont nécessaires, leur impact sur les populations autochtones doit être minutieusement analysé et remédié. Plus particulièrement, le modèle de conservation utilisée dans le Parc National de Kahuzi- Biega n’a pas abouti en excluant les Batwa en tant que gardiens de la forêt.
Déclare qu’étant de bons gardiens de l’environnement, les mesures visant à exclure des Batwa de leurs terres peuvent être dangereuses à l’environnement étant donné le bilan historique positif de conservation de la forêt de Kahuzi- Biega par les Batwas
Constate que la création du Parc National de Kahuzi Biega ainsi que l’autorisation des autres communautés non Batwa à continuer à exploiter leurs terres ancestrales constitue une violation de la Charte.
En conséquence, la Commission demande à la République Démocratique du Congo de :
i. Adopter dans les meilleurs délais, en consultation avec les Batwa, des mesures législatives, administratives et autres jugées nécessaires pour mettre en place un mécanisme de démarcation et d’octroi de titres de propriété du territoire ancestral de Batwa ainsi que les droits y relatives dans le respect de leurs valeurs, coutumes et croyances.
ii. Ratifier la Convention n° C 169 de l’Organisation Internationale du Travail relative aux populations aborigènes et tribales, 1989.
iii. Prendre des mesures matérielles, législatives et administratives pour clarifier et déterminer les terres ancestrales de Batwa
iv. Réintégrer les Batwa dans leur territoire ancestral
v. S’abstenir de tout acte pouvant empêcher les Batwa d’utiliser ou de jouir des leurs terres ancestrales du Parc National de Kahuzi- Biega en attendant que ces mesures soient prises et mises en application,
vi. Annuler toutes les lois, ordonnances ou autres mesures interdisant la présence des Batwa sur leurs terres ancestrales ainsi que leur utilisation traditionnelle et leur jouissance.
vii. De prendre de mesures matérielles, législatives et administratives nécessaires pour mettre en application la Convention de l’Union Africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique (Convention de Kampala)
viii. Retirer, dans une période ne dépassant pas 6 mois à partir de la notification de cette décision, les non- Batwa des terres et territoires ancestraux des Batwa.
ix. Mettre en place, en collaboration avec la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme, un comité indépendant composé d’experts en matière d’indemnisation et réparations des violations des droits de l’homme pour examiner la valeur d’indemnisation requise pour réparer le préjudice subi par les Batwa.
x. Créer un fonds de développement communautaire administré par la communauté et destinée à remédier les carences croissantes en matière de santé, de logement et de niveau d’instruction ;
xi. Payer des redevances provenant des activités économiques de la forêt de Kahuzi- Biega ;
xii. Veiller à ce que la priorité aux opportunités d’emploi dans le Parc National de Kahuzi- Biega notamment dans le domaine du gardiennage, de la conservation et de la réparation du territoire soit accordée aux Batwas;
xiii. Engager un dialogue régulier avec les Batwa afin de leur procurer des services publics de base dont ils ont besoin ;
xiv. Travailler en collaboration avec les Batwa , par l’intermédiaire du ministère ayant la culture en charge, afin de protéger leurs valeurs et croyances traditionnelles pour en constituer une fierté de la culture congolaise;
xv. Adopter une législation nationale sur les droits des peuples autochtones et définissant les mesures pour leur protection
xvi. Présenter des excuses publiques complètes au peuple Batwa en reconnaissant les sévices infligés par des gardes du parc ayant entraîné des pertes en vies humaines, les décès résultant de l’expulsion et les conditions de vie inhumaines et dégradantes auxquelles la communauté Batwa a été soumise
xvii. Reconnaitre les Batwa en tant que citoyens de la RDC ainsi que leur contribution sociale, culturelle et autres au patrimoine de l’humanité ;
xviii. Dispenser une formation sur les standards nationaux et internationaux des droits de l’homme et des peuples autochtones aux administrateurs de l’ICCN et aux gardes du PNKB ;
xix. Faire la publicité de cette décision en conformité avec les instructions élaborées par la Commission au paragraphe 226 de cette décision.
Adoptée par la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples lors de sa 71eme Session Ordinaire tenue virtuellement du 21 Avril 2022 au 13 Mai 2022