Groupe de travail sur la peine de mort, les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et les disparitions forcees en afrique - 75OS

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INTRODUCTION

1.Le présent Rapport est soumis conformément aux Règles 25 (3) et 64 du Règlement Intérieur 2020 de la Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples (la Commission) et de la section 3 (d) des Règles portant création et fonctionnement des mécanismes spéciaux de la Commission. Il couvre les activités menées au cours de la période d'intersession de novembre 2022 à avril 2023.  

2.Le rapport s’articule en cinq chapitres. Le chapitre I présente un panorama de la situation de la peine de mort et des exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et des disparitions forcées en Afrique. Le Chapitre II couvre les activités menées en ma qualité de Président du Groupe de travail sur la peine de mort et les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et les disparitions forcées en Afrique (Groupe de travail) et de membres d’autres  mécanismes spéciaux  ; le chapitre III concerne les activités menées en mes qualités de commissaire rapporteur pays; le chapitre IV se rapporte aux activités de collaboration menées avec les partenaires du Groupe de Travail sur la peine de mort, les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et les disparitions forcées en Afrique et enfin le chapitre V est consacré aux conclusions et recommandations.    

Chapitre I : Situation de la peine de mort, des exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et des disparitions forcées en Afrique

A.Peine de Mort

3. Au cours de la période sous rapport, la tendance abolitioniste s’est poursuivie sur le continent, avec la Zambie qui a aboli la peine de mort en décembre 2022, portant ainsi à vingt-six (26) le nombre d’Etats africains ayant formellement aboli la peine de mort,[Afrique du Sud, Angola, Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cabo Verde, Tchad, République centrafricaine, Congo, Côte d’Ivoire, Djibouti, Gabon, Guinée, Guinée Bissau, Guinée Equatoriale, Madagascar, Maurice, Mozambique, Namibie, Rwanda, Sao Tomé-et-Principe, Sénégal, Seychelles, Sierra Leone, Togo et Zambie.] tandis qu’au moins (19) États parties prévoient toujours la peine de mort dans leur législation, mais observent dans la pratique un moratoire sur les exécutions pour n’avoir  procédé à aucune exécution au cours des dix dernières années.[ Algérie, Cameroun, Comores, République Démocratique du Congo, Érythrée, Eswatini, Éthiopie, Ghana, Kenya, Lesotho, Liberia, Malawi, Mali, Mauritanie, Niger, Tanzanie, Tunisie, Ouganda et Zimbabwe.] Par ailleurs, seize (16) États africains ont  déjà ratifié le Deuxième Protocole facultatif se rapportant  au  Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) , visant à abolir  la peine de mort[ Afrique du Sud, Angola, Bénin, Cabo Verde, Djibouti, Gabon, Gambie, Guinée-Bissau, Liberia, Madagascar, Mozambique, Namibie, Rwanda, Sao Tomé-&-Principe, Seychelles, Togo.]. A cet égard, le 15 décembre 2022, 29 Etats africains (contre 27 en 2020) ont voté en faveur de la 9e Résolution de l’Assemblée Générale des Nations Unies pour un moratoire sur l'application de la peine de mort.  
4. Malgré les évolutions positives enregistrées, le Groupe de travail est profondément préoccupé par le maintien et l’application de la peine de mort qui persiste dans certains pays. Ainsi, il a été informé de cas pour lesquels la peine de mort a été prononcée à l’issue de procès tenus durant la période sous revue, dans des pays comme l’Egypte, le Kenya, la RDC et le Soudan. En mars 2023, le Parlement ougandais a adopté un projet de loi prévoyant des peines allant jusqu’à la peine de mort, pour le crime d’homosexualité aggravé.
5. Il convient également de rappeler que la peine de mort obligatoire pour certaines infractions  continue à figurer dans   les  législations de quelques Etats malgré la position de principe dégagée à cet égard par la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples qui dans son  arrêt du 28 novembre 2019 rendu dans l’affaire Ally Rajabu Contre la république de Tanzanie, a  affirmé sans ambages que « l’imposition obligatoire  de la peine de mort ne respecte pas les garanties d’une procédure régulière et viole les normes d’équité des procès, en empêchant les cours de justice de fixer une sanction proportionnelle au crime commis. »
6. Nous signalons, à titre d’information, que des concertations sont engagées avec des acteurs pour mener des actions de sensibilisation à l’intention des Etats dans le but de les inciter à bannir l’application de la peine de mort comme sanction obligatoire, étant entendu que cette pratique porte manifestement atteinte aux principes directeurs du procès équitable tels que énoncés par les lignes directrices édictées par la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples.   
B.Exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires
7. Le Groupe de Travail note avec préoccupation les allégations d’exécutions extrajudiciaires rapportées au Burkina Faso, au Bénin et au Tchad durant la période sous revue mettant en cause des membres de groupes d’autodéfense civile et des agents des forces de défense et de sécurité. Nous signalons à ce niveau que, conformément au mandat qui lui a été donné par la Commission, le Groupe de travail est en train de réaliser une étude globale qui servirait de document de référence sur la situation des exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires en Afrique. Je lance un appel pour soutenir ce projet important conduit en collaboration avec l’Institut des Droits de l’Homme et de la paix de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.

C.Disparitions forcées

8.Pour améliorer le cadre de protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées en Afrique, la Commission a, par l’intermédiaire du Groupe de travail, élaboré et adopté, lors de sa 71ème Session ordinaire tenue virtuellement du 21 avril au 13 mai 2022, les Lignes directrices sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, le premier instrument de cette nature en Afrique. Le Groupe de travail entend vulgariser son contenu et encourager son utilisation par les parties prenantes. 

9.Ces Lignes directrices ont pour objet de fournir aux États membres de l'Union africaine des orientations et un soutien pour la mise en œuvre effective de leurs engagements et contributions en faveur de l'éradication des disparitions forcées sur l'ensemble du continent africain. Elles visent à compléter les normes et obligations contenues dans les traités et autres instruments internationaux pertinents, notamment la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et le Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale.

10.Nous avons engagé des démarches visant la vulgarisation de cet instrument juridique important en vue de son appropriation par les différents acteurs. Dans cette perspective, nous avons entrepris de renforcer la collaboration avec le Groupe de Travail des Nations Unies sur les Disparitions Forcées ou Involontaires (GTDFI). Une première séance de prise de contact et de concertation avec la Présidente-Rapporteuse Spéciale des Nations Unies sur cette question s’est tenue en marge de la 73e Session Ordinaire de la CADHP. Cette réunion a permis de dégager les principaux axes et stratégies de collaboration entre les deux mécanismes.
 
Chapitre II : Activités menées en qualité de Commissaire et de Président du Groupe de Travail

 74ème Session Ordinaire de la Commission

11.J’ai participé à la 74ème Session Ordinaire de la Commission, qui s’est tenue virtuellement du 21 février au 7 mars 2022. Au cours de cette session, en plus de trois (3) rapports de mission de promotion et d’autres rapports internes, la Commission a examiné et adopté des décisions sur treize (13) Communications, dont trois (3) Résolutions, ainsi que des Observations conclusives relative à un (1) Rapport périodique présenté par un État membre.

              
Participation au 8e Congrès mondial contre la peine de mort

12.Du 15 au 18 novembre 2022, j’ai participé au 8e Congrès Mondial contre la peine de mort qui s’est déroulé à Berlin, en Allemagne. Organisé par l’Association « Ensemble contre la Peine de Mort » en partenariat avec la Coalition Mondiale contre la Peine de Mort, cet événement a donné l’occasion aux participants venus d’horizons divers, y compris des décideurs, des activistes, des anciens condamnés à mort, et d’autres personnalités et individus concernés de débattre sur les grandes thématiques concernant la question de la peine de mort à travers le monde. J’ai présidé à cette occasion un panel de haut niveau consacré au rôle des juges dans le mouvement abolitionniste. Le congrès a été une excellente opportunité pour relayer de façon plus large les évolutions de la situation de la peine de mort sur le continent africain.

Panel de haut niveau sur la question de la peine de mort à la 52e Session du Conseil des droits de l’homme
13.Le 28 février 2023, à l’invitation du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (HCDH), j’ai participé et prononcé un discours d’ouverture au Panel Biennal de Haut Niveau sur la question de la peine de mort, organisé à l’occasion de la 52e Session du Conseil des Droits de l'Homme des Nations Unies. Le thème de cette année portait sur « Les Violations des droits de l'homme liées à l'application de la peine de mort, en particulier en ce qui concerne la limitation de la peine de mort aux crimes les plus graves ». Dans mes remarques d’ouverture, j’ai souligné la tendance abolitionniste en nette progression sur le continent tout en faisant observer que malgré ces avancées significatives, la peine de mort continue d'être appliquée sur le continent africain.
14. J’ai fait remarquer que, conformément à sa jurisprudence, la Commission africaine reste engagée auprès des États qui maintiennent la peine de mort, les exhortant constamment à limiter son application  aux crimes les plus graves et à envisager l'instauration d’un moratoire sur les exécutions. J’ai mentionné les initiatives du Groupe de Travail en cours, notamment la révision de l’étude sur la peine de mort et le Projet de protocole à la Charte portant abolition de la peine de mort avant de réaffirmer la nécessité d'intensifier les efforts et de travailler en partenariat avec tous les acteurs dans une démarche inclusive pour atteindre l’objectif primordial d’intensification de la protection du droit à la vie sur notre continent.
Au titre de mes activités en qualité de Vice-Président du Comité pour la Prévention de la Torture en Afrique 

15.Du 12 au 14 décembre 2022, j’ai participé à l’Atelier d’opérationnalisation des Règles portant création et fonctionnement du mécanisme d’alerte et de rapport à la CADHP sur les situations de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (dites « Règles d’Abidjan »). Cet atelier, qui s’est tenu à Dakar, Sénégal, visait à simuler des cas susceptibles de justifier la mise en œuvre et l’opérationnalisation de ces Règles. L’atelier a réuni quarante (40) participants dont les membres du CPTA, les représentants des INDHs, les ONGs, les journalistes, des universitaires, ainsi que le personnel du Secrétariat.

Conférence Régionale sur le Protocole facultatif à la Convention contre la torture (OPCAT) pour le Moyen Orient et l’Afrique du Nord

16.Du 11 au 12 janvier 2023, j’ai participé à la Conférence régionale sur le Protocole Facultatif à la Convention contre la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui s’est déroulé à Beyrouth, Liban. Organisé par le HCDH à l’intention des Etats de la Région Moyen Orient et Afrique du Nord (MENA), dans le cadre du 20e anniversaire dudit Protocole, la Conférence visait à échanger sur les voies et moyens de promouvoir la ratification et la mise en œuvre du Protocole. Il s’agissait pour cela d’identifier les défis, les bonnes pratiques et les synergies afin de favoriser le fonctionnement efficace des mécanismes nationaux de prévention (MNP) établis en vertu de ce Protocole. J’ai également pris part à la Conférence de suivi qui s’est tenue sur le même thème à Dakar, Sénégal, du 17 au 18 janvier 2023. 
Au titre de mes activités en qualité de membre du Groupe de travail sur les Communications

17.En ma qualité de membre du Groupe de travail sur les Communications (GTC), j’ai participé à deux réunions d’intersession organisées virtuellement le 23 février et le 1er mars 2023. L'objet de ces séances était d'examiner l'adoption d'une (01) plainte en vertu du Règlement 2020 contenant la demande de saisine de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples et sept (07) autres documents de travail relatifs notamment aux critères pour le traitement et la programmation des communications, la création du régime transitoire d'aide judiciaire de la Commission, le Rapport sur les affaires susceptibles d'être transférées à la Cour, la question des décisions rendues par défaut et la possibilité d'opposition de la partie défaillante, le Rapport préliminaire sur l'état d'avancement de la centralisation des dossiers physiques, le Rapport d'audit des communications et le Rapport sur les plaintes acceptées par la voie administrative.

Lettres d’Appel urgent et de préoccupation

Lettre de félicitations 

18.Le 28 décembre 2022, conjointement avec le Rapporteur en charge de la situation des droits de l’homme dans le Pays et Rapporteur Spécial sur la liberté d’expression et l’accès à l’information, nous avons adressé une lettre de félicitations à S.E.  Mr. Hakainde Hichilema, Président de la République de Zambie, suite à la mesure d’abolition de la peine de mort dans ce pays. En effet, le 23 décembre 2022, le Président Hichilema a promulgué l’acte du Parlement No 25 de 2022 portant amendement du Code Pénal portant abolition de la peine de mort en République de Zambie pour tous les crimes. Nous avons saisi cette occasion pour encourager le Gouvernement de la République de Zambie à persévérer dans  cette dynamique positive  en ratifiant le Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, et en soutenant les efforts pour l’adoption du Projet de Protocole additionnel à la Charte africaine visant l’abolition de la peine de mort en Afrique.

19.Je voudrais à ce stade exprimer mes vifs remerciements au Président de la République de Zambie pour avoir pris le soin de répondre promptement à notre demande à travers une lettre d’appréciation qu’il nous a adressée et dans laquelle il a promis d’étudier les voies et moyens d’apporter le soutien de son pays aux actions menées par le Groupe de travail.  

Lettre de préoccupation

20.Le 31 mars 2023, suite à l’adoption par le Parlement ougandais, le 22 mars 2023, d’un projet de loi imposant, entre autres, la peine de mort à toute personne condamnée pour homosexualité aggravée, nous avons adressé à S.E. Yoweri Kaguta Museveni,  Président de la République de l’Ouganda, une lettre conjointe avec le Rapporteur en charge de la situation des droits de l’homme dans le pays, pour exprimer notre vive préoccupation par rapport aux conséquences de l’adoption de cette nouvelle législation. Dans cette lettre, nous avons rappelé aux autorités ougandaises l'obligation pour tous les États parties à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (la Charte africaine) d'assurer le respect du droit à la vie, en tant que droit fondamental sans lequel tous les autres droits ne peuvent être réalisés. Nous avons également réitéré la position de la Commission, à savoir que: "Dans les Etats qui n'ont pas encore aboli la peine de mort, il est essentiel qu'elle ne soit utilisée que pour les crimes les plus graves, c'est-à-dire les crimes impliquant un homicide volontaire".[ CADHP, Observation Générale No 3, para. 24.] Nous avons ainsi appelé le Gouvernement de la République d'Ouganda à ne pas adopter de lois imposant la peine de mort dans les cas  ne répondant pas aux critères susmentionnés et avons  exhorté le Président Museveni de ne pas promulguer le texte adopté par le Parlement. 

Chapitre III Activités menées en qualité de Rapporteur Pays

21.Cette partie du rapport porte sur les activités et actes posés durant l’intersession en mes qualités de commissaire rapporteur pays.

Au titre du suivi de la situation des droits de l’Homme au Tchad

22. Suite  aux événements violents survenus le 20 octobre 2022 à N’Djamena et dans d’autres provinces, en République du Tchad ayant causé la mort de plus de 50 manifestants qui, selon les informations reçues, participaient à des  rassemblements en protestation contre la mesure de prolongation de la période de transition de deux ans ; nous avons publié un communiqué de presse conjointement avec le Rapporteur Spécial sur les défenseurs des droits de l’homme, ainsi que le Rapporteur Spécial sur les Prisons, les Conditions de Détention et l’Action Policière. Dans ce communiqué, nous avons condamné le recours excessif à la force et demandé aux forces de sécurité tchadiennes de s’abstenir de tout recours à la force létale dans le cadre de la gestion de manifestations publiques, tout en appelant à la retenue et à l’esprit de dialogue. Nous avons également demandé aux autorités judiciaires une enquête rapide, crédible et indépendante sur les événements du 20 octobre 2022. Nous avons, enfin, demandé aux autorités tchadiennes de tout mettre œuvre pour assurer le respect des engagements du Tchad dans le domaine des droits de l’homme notamment en ce qui concerne le droit à la vie et à l’intégrité physique, la liberté de réunion et la participation politique.
23.Nous attendons encore la réponse du gouvernement tchadien pour être édifiés sur les causes et circonstances de ces évènements tragiques et les mesures mises en œuvre pour identifier les responsables de ces atteintes intolérables au droit à la vie et les traduire devant les juridictions compétentes.

Au titre du suivi de la situation des droits de l’Homme au Bénin 

24.La Commission a été saisie d’allégations faisant état de plus de vingt (20) cas d’exécutions extrajudiciaires survenus entre 2019 et 2022, dans différentes localités du Bénin. La dernière en date serait survenue le 17 novembre 2022 à Dowa Centre, à Porto Novo où il est rapporté que plusieurs personnes auraient été abattues par des membres des forces de défense et de sécurité. Les autres cas allégués d’exécutions sommaires ou extrajudiciaires rapportés au Benin concernent notamment l’exécution de trois (03) jeunes respectivement à Djidja et à Togba (Commune d’Abomey-Calavi), le 22 septembre 2019, neuf (09) présumés braqueurs qui auraient été abattus à Hévié et Akassato (Commune d’Abomey Calavi), le 25 novembre 2019, le cas de sept (07) présumés  malfaiteurs tués à Zogbohouè (Cotonou), le 11 novembre 2020, et le cas de présumés délinquants qui auraient  été appréhendés et "neutralisés", le  06 août 2021 dans le quartier Guinkomey (Commune de Cotonou). Selon les informations portées à notre connaissance, les cas d’atteintes au droit à la vie ainsi répertoriés n’ont pas donné lieu à des actions d’investigation diligentes. 

25.Le 9 janvier 2023, agissant conjointement avec les autres mécanismes spéciaux concernés, nous avons adressé une lettre de préoccupation à S.E. Mr. Patrice Talon, Président de la République du Bénin, suite aux allégations faisant état de plus de vingt (20) cas d’exécutions extrajudiciaires survenus entre 2019 et 2022, dans différentes localités du Bénin. Nous avons rappelé aux autorités béninoises les obligations de l’Etat en vertu de l’article 4 de la charte relatif au droit à la vie, qui oblige les Etats à adopter toute mesure de précaution raisonnable pour protéger la vie et empêcher l’utilisation excessive de la force par ses représentants, y compris la mise à disposition d’équipements et de formation adéquates.[ CADHP, Observation Générale No 3, para. 27.] Nous avons exhorté le Gouvernement de la République du Bénin à procéder à l’ouverture d’une enquête judiciaire impartiale et indépendante sur ces allégations, à assurer le respect du droit à un procès équitable pour tous, y compris les personnes suspectées d’implication dans la préparation ou la commission d’actes criminels, à prendre des mesures efficaces en vue de prévenir la survenance de tels incidents, notamment en interdisant le recours à la force létale par les forces de sécurité dans des circonstances ne le justifiant pas. Rappelant l’importance des droits à la liberté d’expression et d’accès à l’information garantis par la Charte, nous avons également exhorté les autorités béninoises à assurer la sécurité des journalistes et des blogueurs qui font des publications sur ces incidents. 

26.Nous déplorons qu’à ce jour aucune de ces interpellations n’a fait l’objet d’une réponse de la part des autorités concernées. 

Au titre du suivi de la situation des droits de l’Homme au Burkina Faso

27.La situation au Burkina Faso est demeurée particulièrement préoccupante durant la période couverte par le présent rapport. La recrudescence de la violence qui sévit dans le pays, surtout dans la partie Nord, depuis la fin de l’année 2022, sur fond d’attaques des groupes terroristes et de réponses de l’Etat consécutives  à ces attaques,  continue  d’impacter de façon  négative la situation sécuritaire des populations civiles. Ainsi, les informations disponibles font état d’au moins 51 personnes tuées durant le mois d’avril dans la Région du Sahel, dont 44 personnes tuées le 7 avril 2023, dans une double-attaque perpétrée par des groupes terroristes à Kourakou et Tondobi, deux villages de la Province de Séno, tandis que 7 autres ont été tuées les 4 et 5 avril à Dori, chef-lieu de la Région.

28.La Commission a également été informée de l’attaque armée perpétrée le 6 février 2023, dans l’Est du Burkina Faso, qui avait emporté la vie d’au moins 16 personnes parmi des pèlerins nigérians se rendant au Sénégal. Nous avons publié , le 9 février 2023, un communiqué de presse condamnant cette attaque et appelant les autorités compétentes à diligenter une enquête afin de déterminer les circonstances de cet incident, d’en identifier les auteurs et les traduire en justice, et d’apporter l’assistance nécessaire aux familles des victimes, en collaboration avec les autorités nigérianes. 

29.Auparavant, des cas d’exécutions sommaires sur des personnes civiles ont été rapportées à Nouna, Province de Kossi, dans la nuit du 30 au 31 décembre 2022, où au moins 28 personnes civiles, dont des enfants, ont été tuées. Cet incident s’ajoutait au massacre du 1er janvier 2019 à Yirgou, dans la région du Centre-Nord, ou au moins 49 personnes auraient été tuées.

30.Le 19 janvier, en ma qualité de Rapporteur sur la situation des droits de l’homme au Burkina Faso, j’ai adressé une lettre d’appel urgent à S.E. le Capt. Ibrahim Traoré, Président de la Transition du Burkina Faso, suite aux exécutions sommaires perpétrées sur des personnes civiles à Nouna, et au massacre de Yirgou. 

31.Le 29 avril 2023,  j'ai publié un communiqué de presse sur la situation des droits de l'homme au Burkina Faso, en  exprimant l’indignation de la Commission face aux massacres récurrents de populations civiles, le dernier en date étant  celui perpétré, sous forme d’expédition punitive, le 20 avril 2023,  par des hommes en uniformes militaires supposés appartenir aux forces de défense et de sécurité dans le village de Karma, dans le nord de la province du Yatenga, et qui aurait, selon les premières estimations, coûté la vie à plus 60 personnes, dont des femmes et des enfants.

32.J’ai tenu à exprimer la préoccupation de la Commission par rapport à la récurrence de ces incidents et à l’absence de réponse efficace de la part des autorités compétentes. J’ai rappelé aux autorités du Burkina Faso les obligations qui leur incombent en vertu de la Charte telle qu’interprétée par la Commission dans l'Observation Générale N° 3 sur le droit à la vie (article 4), notamment la responsabilité de protéger les populations civiles contre les violations commises par des acteurs non étatiques. J’ai exhorté le Gouvernement du Burkina Faso à assurer une enquête judiciaire impartiale et indépendante sur ces incidents, et à prendre les dispositions nécessaires en vue d’apporter l’assistance aux familles des victimes et assurer la protection des populations civiles, notamment dans le contexte des opérations militaires de sécurisation menées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. 

33.Un appel solennel a également été lancé en  soutien au  Burkina Faso pour mieux protéger les populations  contre les conséquences meurtrières du  terrorisme et de l'extrémisme violent dans la région du Sahel.

34.Par Note verbale No 23-00270/ABF/ET/DCA du 28 avril 2023, le Gouvernement du Burkina Faso a transmis au Secrétariat de la CADHP la réponse du Président de la transition du Burkina Faso à la lettre d’appel d’urgent concernant le massacre de Nouna.

35.Concernant l’enquête sur l’incident de Nouna, le Gouvernement du Burkina Faso a informé que suite aux déplacements des populations à Bobo Dioulasso, l’enquête a été confiée au Service Régional de Police Judiciaire (SRPJ) des Hauts Bassins qui couvre Bobo Dioulasso. A ce jour, le SRPJ a entamé les auditions qui se poursuivent sous la direction du Procureur du Faso près le Tribunal de grande instance de Nouna. Le Gouvernement du Burkina Faso a également informé que concernant l’affaire « Yirgou », l’instruction est terminée et le dossier a été renvoyé devant la Chambre criminelle de la Cour d’appel de Ouagadougou pour y être jugé.

36.En ce qui concerne les mesures d’assistance aux familles des victimes, le Gouvernement a fourni des informations sur le nombre de victimes, et les efforts qui ont été fournis pour procéder à l’inhumation des personnes décédées et apporter des soins médicaux aux blessés, ainsi qu’aux personnes déplacés dont il fait le point de la situation. Il précise que les services sociaux de l’Etat ont procédé à une évaluation de leurs besoins sanitaires, alimentaires et apporté un soutien et un accompagnement psychologique. Il est également signalé que l’élan de solidarité spontanée des populations a permis de récolter et de distribuer des vivres au profit des victimes déplacées. Il a en outre été signalé que des mesures sont en cours pour la réinscription des enfants déplacés dans les écoles. 

37.S’agissant des mesures de protection des populations civiles, le Gouvernement a indiqué que des mesures internes sont prises pour veiller au respect des droits humains par les forces armées nationales et les forces de sécurité intérieures. Ces mesures comprennent le déploiement des conseillers juridiques et des unités prévôtales dans les centres d’opérations et aux côtés des forces engagées en vue de constater toutes violations des droits humains, de rassembler des preuves d’éventuelles infractions et d’en dresser procès-verbal, de veiller au respect des droits des personnes interpellées et détenues lors des opérations. 

38.Le Gouvernement indique en outre que les curricula de formation des FDS comprennent des modules sur le maintien de l’ordre, les droits de l’homme et le droit international humanitaire. Ainsi, de 2018 et 2020, plus de 1400 FDS ont été formés, tandis que 5000 VDP ont suivi une séance de sensibilisation sur la prise en compte des droits humains. Un programme de formation des formateurs des VDP sur la prise en compte des droits humains est en cours d’opérationnalisation avec le HCDH.

Chapitre IV: Activités menées avec les partenaires du Groupe de travail sur la peine de mort et les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et les disparitions forcées en Afrique

Rencontre avec les partenaires

39.Le 1er mars 2023, j’ai présidé une réunion avec les partenaires de la Fédération Internationale des Actions des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (FICAT) et la Coalition Mondiale contre la Peine de Mort (WCADP). La réunion avait pour objet de faire le point sur le plaidoyer pour l’adoption du projet de Protocole sur la peine de mort, et définir les étapes suivantes concernant les activités de promotion envisagées à cet effet.

40.Nous avons, à cette occasion, procédé à la programmation des activités conjointes prévues au titre de l’année 2023 et fait le point sur le projet de révision de l’étude sur la peine de mort. Concernant le Projet de Protocole à la Charte, il a été convenu de procéder à la création d’un groupe des Etats amis du projet (printemps 2023) et d’organiser avec leurs représentants deux réunions virtuelles, dans la perspective du Lancement officiel de la campagne de sensibilisation, le 10 octobre 2023 à Addis Abeba. Nous avons convenu, par ailleurs, d’organiser une Conférence continentale sur le Projet de Protocole en 2024, et d’effectuer une visite auprès du Parlement Panafricain (PAP) pour présenter le projet et solliciter le soutien des parlementaires à son adoption.

41.Enfin, au cours de cette réunion, les modalités de contribution de la FIACAT et de la WCADP au projet de Révision de l’étude sur la question de la peine de mort, conduit par le Centre for Human Rights, Université de Pretoria, ont été explorées. 

42.Au cours de la période en revue, j’ai poursuivi les échanges avec l’Institut des Droits de l’Homme et de la Paix (IDHP) de l’Université Cheick Anta Diop de Dakar, dans l’objectif de préparer la réunion de consultation des experts sur la conduite de l’étude sur les exécutions extrajudiciaires qui leur a été confiée. 

43.J’ai présidé, le 28 avril 2023, une réunion de cadrage portant sur les orientations à suivre dans la cadre de la révision de l’étude sur la peine de mort. La réunion organisée en mode virtuel, en partenariat avec le Centre des droits de l’Homme de Pretoria, avait pour objet d’identifier les nouvelles thématiques à intégrer dans ce document de référence et d’arrêter la méthodologie ainsi que le chronogramme à suivre pour finaliser le processus de révision dans le délai d’un an imparti au groupe de travail pour présenter ses conclusions.

44.J’exhorte les différents acteurs étatiques et non étatique engagés sur la question de la peine de mort en Afrique à prêter attention à l’appel à contribution qui sera lancé à temps opportun en vue de recueillir des observations destinées à enrichir le document attendu.  

 Chapitre V : Conclusions et recommandations 

45.Des progrès sont observés au niveau de la tendance abolitioniste, avec l’augmentation du nombre de pays ayant actuellement aboli la peine de mort. Toutefois, la peine de mort reste en vigueur et continue à être appliquée dans certains pays. Des inquiétudes sont également soulevées par les récentes évolutions législatives dans certains pays visant à définir de nouveaux crimes passibles de la peine de mort. La Commission s’est déjà dotée de Lignes directrices sur les disparitions forcées en Afrique qu’elle voudrait à présent vulgariser. Dans le même ordre d’idées, une étude sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a été commanditée afin de pouvoir doter les acteurs et les décideurs d’un outil de plaidoyer et de prise de décision dans ce domaine. 
46.La Commission poursuit son engagement auprès des Etats membres et des partenaires, notamment de la société civile et du monde universitaire. En collaboration avec ces partenaires et conformément à son mandat, elle continuera à promouvoir l’adoption du Projet de Protocole à la Charte relatif à l’abolition de la peine de mort, à contribuer à la formation d’une base de connaissances à travers les études et à engager le plaidoyer et le dialogue politique sur la question de la peine de mort et les phénomènes connexes, notamment les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et les disparitions forcées en Afrique. 

47.Dans cette optique, le Groupe de travail formule les recommandations suivantes :

Aux États parties :

a. Dans les Etats où la peine de mort existe encore, envisager d’observer un moratoire sur l’application de la peine de mort conformément à la résolution CADHP/Rés.42(XXVI)99; de suspendre l’exécution des prisonniers condamnés à mort et de commuer leur peine en peines moins lourdes ;

b. Entreprendre des mesures visant à enclencher le processus d’abolition ;
 
c. Soutenir et participer aux efforts visant l’adoption du projet de Protocole à la Charte africaine sur l’abolition de la peine de mort ;

d. Prendre des mesures visant à assurer la vulgarisation et la mise en œuvre effective des Lignes directrices pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées en Afrique et des autres instruments applicables visant  à garantir la pleine protection du droit à la vie.

À l’Union africaine :

e. Promouvoir les consultations avec les États Parties, les organisations et mécanismes régionaux pour l'abolition de la peine de mort ;

f. Par ses mécanismes administratifs et judiciaires, renforcer la responsabilisation des États concernant les actes d’exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et de disparitions forcées ;

g. Soutenir la mobilisation de l’opinion et des ressources pour la mise en œuvre du mandat du Groupe de Travail sur l’abolition de la peine de mort.

Aux Institutions nationales des droits de l'homme et organisations de la société civile :

h. Intensifier le plaidoyer mené au niveau national pour l’abolition de la peine de mort, ainsi que la prévention et la réponse contre les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et les disparitions forcées en Afrique, tout en collaborant avec et en soutenant les efforts de plaidoyer similaires aux niveaux sous-régional et continental ; 
i. Intensifier la participation des Institutions Nationales des Droits de l'Homme et des organisations de la société civile aux consultations nationales et régionales sur l'abolition de la peine de mort.

Aux autres Partenaires au développement :

j. Fournir un appui au Groupe de travail pour lui permettre de s’acquitter de son mandat de manière efficace ;

k. Soutenir les études et les autres efforts visant apporter une base de connaissances au dialogue politique sur la question de la peine de mort ; 

l. Fournir un soutien technique et financier aux États parties, aux INDH et aux OSC dans leurs activités, programmes, projets et politiques visant à lutter contre les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et les disparitions forcées, ainsi que les processus de réformes pénales visant l’abolition de la peine de mort.