La Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (la Commission), réunie lors de sa 83ème Session ordinaire, tenue à Banjul, Gambie, du 2 mai au 22 mai 2025 :
RAPPELANT son mandat sur la promotion et la protection des droits de l'homme et des peuples en Afrique en vertu de l'article 45 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (Charte africaine) ;
RAPPELANT EN PARTICULIER les articles 21, 22 et 24 de la Charte africaine, relatifs aux droits de tous les peuples à disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, au développement économique, social et culturel et à un environnement généralement satisfaisant et propice à leur développement
Soulignant l'importance stratégique de l'article 21, paragraphe 5, de la Charte africaine qui enjoint aux États parties à la Charte de veiller à l'élimination de toutes les formes d'exploitation étrangère en vue d'établir des relations économiques équitables pour le bien-être social, économique, le développement et l'environnement des peuples du continent ;
Considérant que la mise en œuvre effective de l'obligation faite aux Etats par l'article 1er de la Charte de donner effet aux droits, libertés et devoirs consacrés par la Charte africaine, y compris le droit au développement, exige la mobilisation des ressources nécessaires provenant de sources nationales et internationales ;
Profondément préoccupée par le fait que la mobilisation de ces ressources en Afrique est fortement affectée par la nature de la place de l'Afrique dans le système financier et économique mondial qui, dans sa configuration actuelle, contribue à la perte d'énormes quantités de fonds provenant de l'Afrique par le biais de flux financiers illicites et de diverses lacunes que les entreprises, en particulier celles de l'industrie extractive, exploitent pour s'engager dans l'évasion fiscale ;
Déplorant que l’exclusion de la compétence des tribunaux nationaux en matière d'investissements étrangers, inscrite dans les traités internationaux d'investissement qui attribuent la compétence aux tribunaux d'arbitrage ou de règlement des différends entre investisseurs et États, entraîne souvent la perte d'énormes montants pour le paiement des règlements extrajudiciaires ou des procédures arbitrales, en partie à cause des inégalités structurelles découlant des asymétries de pouvoir dans les relations entre les États africains et les investisseurs étrangers ;
Préoccupée par les graves conséquences sur les droits de l'homme du coût exorbitant de l'accès au financement du développement, avec des taux d'intérêt disproportionnés imposés aux États africains, qui entraînent à la fois un surendettement récurrent et le détournement d'une part importante des recettes des services sociaux essentiels, tels que l'éducation et la santé, au profit du service de la dette ;
Convaincue que la mobilisation des ressources pour le financement du développement passe par la justice fiscale et la réforme de l'architecture financière mondiale injuste et des traités d'investissement qui limitent la marge de manœuvre fiscale, notamment des pays africains et d'autres pays en développement, en ce qui concerne les obligations fiscales qu'ils peuvent légalement imposer aux investissements étrangers et aux entreprises pour faire progresser les droits de l'homme et les droits des peuples, y compris le droit au développement ;
Convaincue en outre que l'utilisation efficace des recettes publiques pour faire progresser les droits de l'homme et le développement nécessite une politique fiscale transparente et conforme aux droits de l'homme et des peuples, qui réponde aux normes les plus élevées en matière de responsabilité fiscale et qui soit accessible au contrôle public ;
Reconnaissant la nécessité d'un régime réglementaire efficace aux niveaux national, régional et international qui garantisse un système fiscal juste et transparent pour répondre aux droits fondamentaux et aux besoins socio-économiques des populations et prévenir les diverses pertes financières mentionnées ci-dessus, comme le soulignent le 2ème forum régional sur les industries extractives, l'environnement et les droits de l'homme sur le thème "Industries extractives, justice fiscale et financement du développement et de l'action climatique en Afrique" tenu lors de la 77ème Session ordinaire de la Commission et les leçons tirées du Forum conjoint des mécanismes spéciaux sur « Les droits de l'homme, un impératif pour un développement durable axé sur les populations en Afrique « organisé lors de la 83ème Session ordinaire ;
La Commission africaine:
1. Appelle les États parties à :
(a) Réviser les lois et réglementations existantes régissant les ressources naturelles et les activités des entreprises étrangères, y compris les lois sur l'exploitation minière, le pétrole et le gaz naturel, ainsi que les lois sur la fiscalité, les sociétés, les banques et les investissements, conformément aux exigences des articles 21 et 24 de la Charte africaine, telles qu'elles sont définies dans les lignes directrices et principes relatifs à l'établissement des rapports des États sur les articles 21 et 24 de la Charte africaine et dans la Résolution CADHP/Res. 367 (LX) 2017 de la Commission africaine ;
(b) Etablir des normes juridiquement contraignantes sur la transparence des contrats de licence, les accords sur la dette et l'accès au financement du développement, ainsi que sur le respect de normes élevées en matière de réglementation fiscale, en tant que mesures nécessaires pour lutter contre la corruption et les flux financiers illicites dans les industries extractives et dans d'autres domaines d'investissement;
2. Affirmer juridiquement le droit des personnes et des communautés touchées à des recours efficaces
a) pour les violations des droits de l'homme et des peuples, les atteintes à l'environnement et aux normes de travail imputables aux investisseurs et aux entreprises, ainsi qu'à ceux qui agissent en leur nom, et l'obligation de ces acteurs de dédommager les communautés touchées pour toutes les pertes matérielles et immatérielles qu'elles ont subies et pour le nettoyage et la réhabilitation de l'environnement pollué, et ;
b) pour les incidences négatives sur les droits de l'homme des emprunts publics non transparents et non réglementés contractés auprès de sources nationales et internationales ;
3. Exprime son plein soutien à la Résolution de l'Assemblée générale des Nations unies intitulée « Promotion d'une coopération fiscale efficace et sans exclusive aux Nations unies » (A/78/235) et à la Résolution subséquente intitulée « Promotion d'une coopération fiscale internationale efficace et sans exclusive aux Nations unies » (A/Res/78/230) impulsée par le groupe africain en faveur d'une convention fiscale juridiquement contraignante des Nations unies qui renforcerait la coopération fiscale internationale et la rendrait plus équitable, plus inclusive et plus efficace ;
4. Demande à l'Union africaine et à ses États membres de :
(a) Créer un tribunal continental indépendant de règlement des différends entre investisseurs et États ou d'arbitrage qui garantirait à la fois l'équité et des normes d'indépendance internationalement acceptables comme alternative efficace au système actuel de règlement des différends entre investisseurs et États dans le cadre duquel les États subissent des pertes considérables ;
(b) Préserver et faire progresser la position commune africaine sur l'établissement d'une convention-cadre juridiquement contraignante sur la coopération fiscale dans le cadre des Nations unies, qui garantisse que les États africains reçoivent leur véritable part en termes d'impôts sur les ressources et les activités entreprises sur leur territoire, dans le cadre de la Résolution A/78/235 de l'Assemblée générale des Nations unies, que le groupe africain de New York a défendue;
(c) Mobiliser des actions pour s'attaquer aux facteurs structurels de l'endettement cyclique élevé des pays africains, qui entraîne des souffrances économiques et le détournement des recettes publiques limitées du soutien aux besoins de développement des populations vers le service de la dette ;
5. Charge le Groupe de travail sur les industries extractives (WGEI) d'élaborer une étude sur l'impact des traités d'investissement, de la dette et des accords de coopération au développement et d'aide sur les droits de l'homme et des peuples en Afrique, en vue de définir des lignes directrices sur la manière dont les États parties à la Charte africaine veillent à ce que les engagements qu'ils prennent dans le cadre de ces traités et accords soient conformes aux normes de la Charte africaine, comme le prévoit l'article 21 de la Charte africaine.
Fait à Banjul, Gambie Mai 2025