Discours de la Commissaire Soyata Maiga, Présidente du Groupe de Travail sur les Populations/Communautés autochtones en Afrique (WGIP) à la 13ème Session de l'Instance permane

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« Expériences et défis en matière de prise en charge de la question des droits des populations autochtones en Afrique »

M. le Président,
Honorables membres de l'Instance permanente,
Mesdames et Messieurs les Représentants des Populations autochtones,
Mesdames et Messieurs les Délégués,
Mesdames et Messieurs les Membres du Secrétariat de l'Instance permanente,
Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi, dès l'entame de mon propos, d'exprimer, au nom du Groupe de Travail sur les Populations/Communautés autochtones de la Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, ma gratitude à l'UNFPII pour m'avoir invitée à cette 13ème Session. Ces Sessions de l'Instance nous offrent l'occasion de partager avec vous, nos expériences, nos réalisations et les obstacles que nous rencontrons dans notre travail en faveur de la promotion et de la protection des droits des populations autochtones en Afrique. Notre présence ici nous permet également d'améliorer nos échanges et de renforcer notre collaboration avec les autres acteurs et toutes les parties prenantes, au niveau régional et international. 

Il y a plus d'une décennie que le Groupe de Travail a été créé mais son évolution ne s'est pas faite sans heurts. En effet, à la fin des années 90, lorsqu'il a été proposé à la Commission Africaine d’aborder la problématique des populations autochtones en Afrique, certains membres, avaient exprimé quelques appréhensions. Cependant, au fil des années, et aujourd’hui plus qu’hier, grâce au dialogue initié avec les Etats parties et les communautés autochtones ainsi que les résultats des recherches effectuées au niveau pays, il est devenu évident que les défis auxquels ces communautés restent confrontées méritaient toute l’attention de la part du principal organe de promotion et de protection sur le continent.

Bien que la Commission Africaine ait adopté un rapport détaillé sur le concept des populations autochtones en Afrique, rapport ensuite adopté par les Chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Union Africaine, le Groupe de Travail rencontre beaucoup de difficultés pour convaincre les Etats de l’existence sur leurs territoires, de populations s’auto identifiant comme populations autochtones et qui ont, compte tenu de certains caractéristiques objectifs, besoin d’être reconnues et respectées, en tant que telles.

En effet, nombreux sont encore les Etats africains qui sont réticents à dialoguer et à coopérer avec le Groupe de Travail, sur la thématique dans la perspective droit de l’homme, toutes choses qui empêchent la mise en oeuvre efficace du mandat du Groupe de Travail. Néanmoins, pour lever les malentendus longtemps entretenus autour du concept de populations autochtones en Afrique, le Groupe de Travail profite de toutes les rencontres, visites et missions pour mettre en exergue la situation de pauvreté et de déni des droits, dans laquelle ces communautés vivent, dans la majorité des pays.

Je voudrais, à ce niveau et avec l'aimable autorisation de M. le Président, dire quelques mots sur cette question. 

Les populations et communautés autochtones d'Afrique appartiennent à divers systèmes économiques. Elles se retrouvent chez les chasseurs-cueilleurs, chez les pasteurs ainsi que chez certains petits exploitants agricoles. Elles pratiquent des cultures différentes, ont des institutions sociales différentes et observent des rites religieux différents. Les pygmées de la Région des Grands Lacs, les San d'Afrique australe, les Hazabe de la Tanzanie et les Ogieks, Sengwer et Yakuu du Kenya peuvent tous être cités comme exemples de communautés de chasseurs-cueilleurs qui s'identifient comme populations autochtones. De même, les communautés de pasteurs, comme celles des Pokots du Kenya et d'Ouganda, les Barabaigs de la Tanzanie, les Masais du Kenya et de Tanzanie, les Samburu, Turkanas, Rendilles, Endorois et Boranas du Kenya, les Toubous du Tchad, les Bororos du Cameroun, du Burkina Faso et du Niger ainsi que les Amazighs d'Afrique du Nord peuvent aussi être cités comme exemples de pasteurs qui s'identifient comme des autochtones. Il ressort de l'étude menée par le Groupe de Travail entre 2001 et 2003 que la survie et le mode de vie de ces populations autochtones, dépendent de leur accès à leurs terres ancestrales ainsi que du contrôle des ressources naturelles tirées des dites terres. Elles sont victimes de discrimination et de marginalisation, et sont considérées comme moins développées que les autres groupes dominants. La plupart d’entre elles vivent dans des régions difficiles d'accès, souvent géographiquement isolées. Elles sont soumises à la domination et à l'exploitation au sein de structures politiques et économiques nationales généralement conçues pour prendre en charge les intérêts et préoccupations de la majorité nationale.

Soucieux d'obtenir des informations de première main et de trouver une solution concrète et fondée sur le respect des droits de l’homme, apte à résoudre les difficultés que rencontrent ces populations autochtones tant dans l’exercice que dans la jouissance de leur droit, le Groupe de Travail organise des missions de promotion, des visites de recherche et d'information, des séminaires de sensibilisation et adresse aux Etats Parties à la Charte africaine des Appels urgents quand il est informé de l'existence de graves violations des droits des populations autochtones dans les Etats.

Ainsi le Groupe de Travail a effectué à ce jour des missions et visites dans 13 pays : Burundi (avril 2005), Botswana (juin 2005), Namibie (juillet – août 2005), Libye (août 2005), Congo-Brazzaville (septembre 2005 et mars 2010), Niger (février 2006), Ouganda (juillet 2006), République centrafricaine (janvier 2007 et mai 2012), Gabon (septembre 2007), Rwanda (décembre 2008), République démocratique du Congo (août 2009), Kenya (mars 2010) et République unie de Tanzanie (janvier/février 2014). Les rapports de ces visites ont été publiés sous forme d'ouvrages disponible en français et en anglais et ont été largement distribués. Dans lesdits rapports, le Groupe de Travail met en exergue, notamment, l'environnement socio-économique et les problèmes de gouvernance et d’accès à la terre des populations autochtones, et fait des recommandations aux gouvernements concernés pour qu'ils adoptent, les mesures appropriées, tant au plan institutionnel, administratif, législatif et autres, en vue de remédier aux discriminations et aux injustices constatées.

Certains des gouvernements ont mis en oeuvre quelques-unes de ces recommandations. Ainsi, la République centrafricaine a ratifié la Convention 169 de l'OIT, la République du Congo a adopté en 2010 une loi portant promotion et protection des populations autochtones, qui prend en compte, toutes les normes édictées par la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples autochtones, et le Burundi a mis en place un système de quota pour garantir la représentation des populations Autochtones Batwas au sein du Sénat et de l'Assemblée nationale.

L'une des stratégies adoptées par le Groupe de Travail pour susciter une prise de conscience sur la situation des populations autochtones et interpeller les Etats Parties, consiste en l'organisation de séminaires de sensibilisation réunissant les représentants des communautés autochtones, des Etats parties, des ONGs et des agences spécialisées du système des Nations Unies qui travaillent sur cette thématique au niveau des pays. Le Groupe de Travail a, jusqu'ici, organisé quatre séminaires de sensibilisation, à Yaoundé, au Cameroun (2006), à Addis-Abeba, en Ethiopie (2008), à Brazzaville, au Congo (2011) et à Tunis, en Tunisie (2014). L'impact de ces séminaires s'est notamment fait sentir en Afrique centrale, où de nombreux gouvernements reconnaissent aujourd'hui les problèmes spécifiques auxquels les populations autochtones sont confrontées et ont commencé à mettre en place des cadres juridiques et institutionnels pour prendre en charge les besoins de leurs populations autochtones.

Le groupe de travail envoie également des Appels urgents sur des situations ponctuelles et graves de violations des droits de l’homme à certains Etats parties, pour les exhorter à s'abstenir de prendre toute initiative ou de mettre en oeuvre tout programme ou politique susceptibles de causer des préjudices aux populations autochtones, sans leur consentement préalable, libre et éclairé.

Dans sa décision relative à la Communication 276/03 : Centre for Minority Rights Development et Minority Rights Group International au nom de Endorois Welfare Council c/ Kenya, la Commission Africaine, reconnaîssait les droits des Endorois du Kenya sur leurs terres et sur le contrôle et la gestion de leurs ressources traditionnelles. Même si la mise en oeuvre de cette décision, a pris du retard depuis l'année 2010, la portée et la valeur jurisprudentielle de ladite décision, en terme de protection des droits des peuples autochtones en Afrique et dans le monde, sont désormais indiscutables.

En 2006, le Groupe de Travail et l'OIT ont effectué, avec le Centre des Droits de l'Homme de l'Université de Pretoria, une étude de trois ans sur la protection, par la Constitution et la législation, des populations autochtones de 24 pays africains. Le rapport de l'étude a été présenté en 2010, à Windhoek, en Namibie et fait actuellement l'objet d'une large distribution.

Le Groupe de Travail organise également divers séminaires afin de renforcer sa collaboration avec d'autres organes internationaux et régionaux qui interviennent sur les questions touchant aux populations autochtones. Il en est ainsi de l’atelier de consultation avec la Commission intergouvernementale des Droits de l'Homme de l'ASEAN et la Commission interaméricaine des Droits de l'Homme en 2013, événement auquel des représentants de ces organisations et le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les Droits des Peuples autochtones ont pris part.

Il convient également de mentionner que le Rapporteur spécial fait des présentations, chaque année en Septembre, dans le cadre du seul programme régional de cours intensifs sur les droits des populations autochtones organisé par le Centre pour les droits de l'homme de l'Université de Pretoria, en collaboration avec le Groupe de travail et d'autres partenaires. Je voudrais donc saisir cette opportunité pour remercier le Rapporteur spécial sortant pour sa contribution extraordinaire et pour son énorme soutien au travail du Groupe; et lancer un appel au titulaire de mandat entrant en vue de consolider les acquis et réalisations de son prédécesseur et continuer de concrétiser la collaboration entre les deux mécanismes.

Le Rapporteur spécial, le Professeur James Anaya, a pris part à certaines activités du groupe de travail. A titre d’illustration, il a participé aux travaux de deux ateliers organisés par le Groupe de travail à Banjul en Gambie en avril 2013 et à Nairobi au Kenya en Septembre 2013.

Comme je l'ai noté plus haut, le Groupe de Travail est confronté à de multiples défis dans la mise en oeuvre de son mandat, liés à la faiblesse de la collaboration avec les Etats parties et à la faible représentation des communautés autochtones elles mêmes dans les échanges sur leurs préoccupations et la recherche des solutions appropriées à leur situation.

Sur la faible collaboration avec les Etats parties, on peut citer : les retards apportés dans les réponses aux notes verbales sur les missions et les visites pays, ainsi qu’aux appels urgents, s’agissant des interpellations relatives aux violations graves des droits des populations autochtones, comme c’est le cas pour les expropriations et expulsions.

Cette résistance des Etats Parties est en partie due à l'absence de reconnaissance légale du concept même des populations autochtones et au caractère dit sensible de ces questions relatives aux droits des minorités et de quelques composantes marginalisées de la population. Ce déficit dans la collaboration a empêché le Groupe de Travail d'instaurer un dialogue constructif avec les Etats et de défendre efficacement les droits des populations autochtones en Afrique.

Les efforts de travail en réseau, notamment avec les ONG, les INDH et d'autres partenaires internationaux, demeurent encore insuffisants.

C’est pourquoi le groupe de Travail a procédé en 2013 à l’identification et à la désignation de Points focaux régionaux, composés d’ONG actives et engagées dans le domaine de la protection des droits des populations autochtones, pour servir de croix de transmission entre les communautés dont ils doivent faire remonter les préoccupations, et le groupe de Travail.

En plus de ces contraintes, le groupe de travail fonctionne à l’aide de ressources financières limitées, ce qui compromet l'efficacité, la continuité et la durabilité de ses activités et projets inscrits dans son Plan d'Action.

C’est pourquoi on n'insistera jamais assez sur l'importance de notre partenariat avec l'Instance, le mécanisme du Rapporteur spécial, l'EMRIP et les autres parties prenantes internationales et régionales. Cette coopération doit aller au-delà de la présence et de la participation aux sessions et à diverses activités et devrait être institutionnalisée. J'espère qu'au cours des échanges de vues organisés dans le cadre de la présente Session nous serons en mesure de réfléchir sur les voies et moyens de lancer de façon concrète, cette coopération, pour bénéficier des enseignements positifs des autres communautés autochtones ainsi que des leçons apprises en terme de stratégies, de plaidoyer et de mobilisation de ressources et d’énergies.

Le Groupe de Travail, par ma voix tient ici à exprimer toute sa volonté et sa disposition dans la limite de ses possibilités, pour que cela devienne une réalité.

C'est sur cette note que je clos mon intervention.

Je vous remercie de votre attention.