Suite à l’invitation du Gouvernement du Royaume du Lesotho, une délégation de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (« la Commission ») a effectué une mission de promotion au Royaume du Lesotho, du 3 au 7 septembre 2012, dans le cadre de son mandat prévu à l’article 45 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (la « Charte africaine »).
Cette mission de promotion qui vient à la suite de la première Mission effectuée par la Commission dans le pays, du 3 au 7 avril 2006, est fondée sur la situation générale qui prévaut au Lesotho, les questions thématiques relatives à la liberté d’expression et l’accès à l’information, ainsi que les prisons et les conditions de détention.
Les Termes de référence de la Mission sont les suivants :
· Promouvoir la Charte africaine à travers l’échange de vues et le partage d’expériences avec le Gouvernement du Royaume du Lesotho et les principaux acteurs intervenant dans le domaine des droits de l’homme, sur la façon d’améliorer la jouissance des droits de l’homme dans le pays ;
· Sensibiliser le public sur l’importance du droit à la liberté d’expression et à l’accès à l’information en général, avant et après les élections en particulier ;
· S’entretenir avec des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire et d’autres parties prenantes sur toutes les questions relatives aux prisons et aux conditions carcérales, mais aussi sur le travail de la Commission concernant ce thème spécifique ;
· Visiter les prisons au Lesotho afin d’évaluer jusqu’à quel point les conditions de détention sont conformes aux normes régionales et internationales ;
· Sensibiliser sur et renforcer la visibilité de la Commission au Lesotho, en particulier au niveau des départements ministériels concernés et des organisations de la société civile ;
· Encourager une collaboration plus étroite entre la Commission et le Royaume du Lesotho, d’une part, et entre la Commission et les organisations de la société civile dans le pays, d’autre part;
· Assurer le suivi des recommandations découlant des observations finales adoptées par la Commission, suite à l’examen, en 2000, du rapport initial du Lesotho soumis conformément aux obligations de ce dernier en vertu de l’article 62 de la Charte africaine ;
· Encourager le Lesotho à être à jour quant à la soumission de ses rapports périodiques, conformément à l’article 62 de la Charte africaine.
La délégation de la Commission était composée de :
· L’Honorable Commissaire Pansy Tlakula, Commissaire responsable du suivi de la situation des droits de l’homme au Lesotho et Rapporteure spéciale sur la liberté d’expression et l’accès à l’information en Afrique ;
· L’Honorable Commissaire Med S. K. Kaggwa, Rapporteur spécial sur les prisons et les conditions de détention en Afrique ; et
· Mme Irene Desiree Mbengue Eleke, Juriste au Secrétariat de la Commission africaine à Banjul, en Gambie, a assisté les Honorables Commissaires.
Au cours de la mission, la délégation a rencontré divers représentants du gouvernement et des organisations de la société civile, ainsi que d’autres acteurs engagés dans la protection et la promotion des droits de l’homme au Lesotho.
La Mission a débuté par une visite de courtoisie au Premier ministre du Lesotho, Son excellence Monsieur Thomas Thabane, qui a souhaité la bienvenue à la délégation de la Commission et a noté que la Mission se tenait à un moment crucial où un nouveau gouvernement venait d’être formé, ce qui servira de base pour permettre à la Délégation de poursuivre de manière plus appropriée les objectifs de la Mission. Il s’est engagé à apporter son appui à la Commission tout au long de la Mission.
La délégation a également rendu une visite de courtoisie au ministre des Affaires Etrangères et des Relations Internationales du Lesotho, S.EM. Mohlabi Kenneth Tsekoa, et lui a exposé brièvement l’objet de la Mission. Le Ministre a souhaité la bienvenue à la délégation de la Commission et a noté que la mission se tenait après une transition démocratique pacifique dans le pays qui a conduit à l’avènement d’un nouveau gouvernement. Il a réitéré l’engagement du Gouvernement du Lesotho à respecter et faire respecter les instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits de l’homme tels que la Charte africaine. Il a expliqué que le Lesotho est engagé dans le travail de la Commission et espère que la délégation rencontrera les responsables de toutes les institutions gouvernementales compétentes et de la société civile afin de mieux comprendre les enjeux des droits humains au Lesotho.
La délégation a rencontré les personnalités ci-après :
· L’Honorable Juge en chef, Sa Seigneurie Mahapela L. Lehohla ;
· L’Honorable M. Lekhetho Rakuoane, Vice-président de l’Assemblée nationale ;
· L’Honorable M. Haee Edward Phoofolo, ministre de la Justice, des Droits de l’homme, du Service correctionnel, des Affaires juridiques et constitutionnelles ;
· L’Honorable M. Tšeliso Seth Mokhosi, ministre de la Communication, des Sciences et de la Technologie ;
· Mme Matsoana Fanana, Médiateur du Royaume du Lesotho ;
· Mme Matau Futho Letsatsi, Directrice du Genre au ministère du Genre, de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs.
La délégation a eu des entretiens avec :
· Les membres de la Commission électorale du Lesotho ;
· Le Directeur général de la Direction de la Corruption et des Infractions économiques ;
· Les représentants de la Police Complaints Authority (Office des plaintes contre la police) ;
· Les membres du Comité intersectoriel des droits de l’homme ;
· Le Commissaire chargé des Services correctionnels du Lesotho ;
· Les Leaders des Partis politiques ;
· Les membres du Conseil des Organisations non gouvernementales du Lesotho ;
· Les représentants de la Faculté de Droit de l’Université Nationale du Lesotho ;
· Les membres de MISA et d’autres Associations de Journalistes.
La délégation a également visité la Prison centrale de Maseru et le Centre correctionnel de Maseru.
Au terme de plusieurs visites et échanges, la délégation a noté avec satisfaction les efforts déployés par le Gouvernement du Lesotho et d’autres parties prenantes dans la réalisation des droits de ses citoyens garantis par la Charte africaine. A cet égard, la délégation :
- Se félicite de la tenue d’élections réussies et pacifiques qui ont conduit à la formation d’un gouvernement de coalition au Lesotho ;
- Accueille avec satisfaction le projet de Politique médiatique qui encourage, entre autres, la mise en place d’un Médiateur des Médias, du Conseil des médias, et l’adoption du Code de déontologie des journalistes et des professionnels des médias ;
- Félicite le Lesotho pour la ratification de la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance ; du Protocole à la Charte africaine relatif aux droits de la Femme en Afrique (« le Protocole de Maputo») ; du Protocole portant création de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (« le Protocole ») et d’autres instruments régionaux relatifs aux droits de l'homme ;
- Note avec satisfaction les programmes, activités et stratégies mises en place pour réaliser l’égalité entre les sexes et promouvoir les droits des femmes et des filles au Lesotho ;
- Salue l’intégration de la question des droits humains dans le programme d’études de la Faculté de Droit de l’Université du Lesotho, en vue d’offrir des possibilités d’éducation et de recherche concernant les droits humains et les libertés fondamentales ;
- Salue en outre l’intégration des organisations non gouvernementales (« ONG ») au sein du Comité intersectoriel des droits de l’homme ;
- Félicite les Services correctionnels du Lesotho de l’application des instruments sous régionaux, régionaux et internationaux dans le cadre de leur travail ;
- Reconnaît les rénovations en cours dans les prisons du Lesotho.
La délégation est toutefois préoccupée par le non respect de l’article 62 de la Charte africaine par le Lesotho, avec cinq (5) rapports en retard, et exhorte le Gouvernement du Lesotho à soumettre ses rapports dans un très proche avenir. La délégation encourage également le Gouvernement à impliquer la société civile dans la compilation des rapports périodiques.
En ce qui concerne la liberté d’expression, la délégation prend note de l’existence de lois criminalisant l’expression telles que les lois sur la diffamation et les injures. La délégation demande instamment au gouvernement du Lesotho d’abroger ces lois et de soutenir la Rapporteure spéciale sur la liberté d’expression et l’accès à l’information de la Commission dans sa campagne visant à dépénaliser les lois criminalisant la diffamation et les injures sur le continent.
Par ailleurs, tout en saluant le lancement d’un projet de Politique des Médias, la délégation exhorte également le ministre des Communications du Lesotho à accélérer l’adoption du Projet de Politique médiatique.
En ce qui concerne l’accès à l’information, la délégation note avec préoccupation l’absence d’une Loi sur l’Accès à l’information au Lesotho et exhorte le Gouvernement à accorder la priorité à l’adoption d’une loi sur l’accès à l’information dans son programme de réforme.
La délégation encourage le Gouvernement du Lesotho à transformer le State Broadcaster (l’organe étatique de radiodiffusion) en Public Broadcaster (Organe public de radiodiffusion) avec un Conseil d’administration indépendant.
S’agissant de la question des prisons, la délégation note avec préoccupation la surpopulation et les conditions dans la Prison centrale de Maseru, et exhorte le Gouvernement du Lesotho à accélérer la rénovation de l’Aile B de la Prison.
Concernant les femmes, tout en se félicitant de la volonté politique du gouvernement du Lesotho de promouvoir et de protéger leurs droits, la délégation est toutefois préoccupée par le fait que les femmes dans les industries/fabriques textiles n’ont droit qu’à six (6) semaines de congé de maternité, par opposition aux douze (12) semaines accordées aux femmes employées dans les secteurs public et privé. Cette pratique est discriminatoire et constitue une violation des droits de ces femmes en vertu de la Charte africaine et du Protocole de Maputo. A cet égard, la délégation recommande l’adoption de lois qui prévoient l’égalité de traitement eu égard au congé de maternité pour les femmes dans tous les secteurs de la vie sociale.
La délégation est également préoccupée par le fait que les femmes au Lesotho ne peuvent pas transmettre leur nationalité à leurs enfants et à leurs conjoints, et demande instamment une révision de cette situation par le Gouvernement du Lesotho.
La délégation note avec préoccupation le maintien des coutumes et des traditions qui entravent la pleine jouissance des droits humains par les femmes au Lesotho.
Elle note avec satisfaction que le cadre juridique visant à garantir le respect des droits humains existe au Lesotho, notamment la Politique Genre et Développement, la Loi sur l’Administration territoriale, la Loi sur la Capacité juridique des Personnes mariées et la Loi sur la Protection et le Bien-être des enfants. Cependant, l’application de ces lois est lente dans certains cas. La délégation invite le gouvernement du Lesotho à formuler des stratégies de mise en œuvre afin d’assurer une protection efficace des droits humains de son peuple.
La délégation note le retard enregistré dans la nomination des membres de l’Office des plaintes contre la police qui a eu un impact négatif sur son mandat visant à traiter les plaintes relatives au comportement des fonctionnaires de police. Le processus de nomination des membres devrait donc être accéléré.
La délégation demande également au Gouvernement du Lesotho d’accélérer la mise sur pied d’une Commission nationale des droits de l’homme, conformément aux Principes de Paris, aux fins de protéger et de promouvoir les droits de l’homme dans le pays.
S’agissant de la question de la peine de mort, la délégation salue le fait qu’aucune peine capitale n’a été exécutée depuis 1995, mais est toutefois préoccupée par le fait que la peine de mort reste maintenue dans le recueil de lois du Lesotho. La délégation encourage le Gouvernement du Lesotho à poursuivre les débats sur cette question au niveau de la société et d’autres acteurs.
La délégation exhorte également le Parlement à adopter une Résolution officielle sur un moratoire sur la peine de mort.
La délégation réitère son appel au Lesotho pour qu’il signe la Déclaration en vertu de l’article 34(6) du Protocole qui permet un accès direct à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples.
Le Gouvernement du Lesotho est également appelé à ratifier les instruments suivants :
- Le Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort ; et
- Le Protocole facultatif à la Convention contre la torture.
Enfin, la délégation invite le Lesotho à retirer la réserve formulée lors de la ratification de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Avec cette réserve, les femmes font l’objet de discrimination dans les divers aspects de leur vie.
La délégation voudrait remercier le Gouvernement et le Peuple du Royaume du Lesotho pour l’accueil très chaleureux, l’hospitalité et l’ouverture qui lui ont été réservés au cours de la mission. La Commission est très reconnaissante au gouvernement pour les facilités et services mis à sa disposition lors de la mission, et témoigne sa profonde gratitude au ministère des Affaires étrangères et des Relations internationales et au ministère de la Justice, pour les excellentes dispositions prises et qui ont permis à la délégation de rencontrer un échantillon de la société du Lesotho et d’avoir une vue assez représentative de la situation des droits humains dans le pays.
La délégation préparera un Rapport de la Mission qui sera présenté à la Commission pour examen lors de sa 53ème Session ordinaire, avant d’être transmis au Gouvernement du Lesotho. Sans pour autant anticiper sur la teneur du Rapport, la délégation voudrait souligner que le Lesotho est en bonne voie dans la réalisation, en faveur de son peuple, des droits garantis par la Charte africaine.
Fait à Maseru, au Lesotho, le 7 septembre 2012.