La Présidente de la Commission africaine, l'Hon. Commissaire Dupe Atoki prononce l'allocution d’ouverture

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Discours d’Ouverture prononcé par la Présidente de la Commission 

africaine des droits de l’homme et des peuples, 

l’Honorable Commissaire Catherine Dupe Atoki, 

à l’occasion de la

 

51ème Session ordinaire de la Commission africaine des droits de

 

l’homme et des peuples

 

 

·         Madame la Ministre de la Justice de la République de Gambie ;

·         Honorables Membres de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples ;

·         Excellence Mme Julia D. Joiner, Commissaire aux Affaires politiques de la Commission de l’Union africaine ;

  • Excellence Mesdames et Messieurs les Membres du Corps diplomatique et consulaire accrédités de la République de Gambie ;
  • Honorables Délégués des Etats membres de l’Union africaine ;
  • Mesdames et Messieurs les Représentants des Organisations internationales ;
  • Mesdames et Messieurs les Représentants des Institutions nationales des droits de l’homme ; 

·         Mesdames et Messieurs les Représentants des Organisations non gouvernementales ;

  • Mesdames et Messieurs les Invités à divers titres ;
  • Mesdames, Messieurs ; 

Permettez-moi, au nom des Commissaires et du personnel de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, de vous souhaiter la bienvenue à cette 51ème Session ordinaire de la Commission, qui se tient ici, à Banjul, surnommée la « Côte radieuse du continent africain », et, plus important encore, parce que c’est sur ce sol que la liberté de l’Afrique a trouvé ses racines, il y a plus de trente ans. C’est encore ici, à Banjul, que nous avons reconnu que « la liberté, l’égalité, la justice et la dignité sont des objectifs essentiels à la réalisation des aspirations légitimes des peuples africains ». Il n’est pas étonnant que la Charte africaine soit aussi désignée la Charte de Banjul. En conséquence, permettez-moi de vous remercier tous d’être venus parfois de très loin pour participer à notre réflexion et à nos débats sur certaines questions des droits humains d’une importance majeure et qui, aujourd’hui, nous intéressent tous.

Cependant, avant d’aller plus loin, je voudrais saisir cette occasion pour, au nom de la Commission africaine, dire mes sincères remerciements au Gouvernement et au Peuple de la République de Gambie non seulement pour avoir accueilli une nouvelle Session de la Commission africaine, mais encore pour l’environnement propice et les excellentes facilités mis à disposition pour assurer la réussite de cette 51ème Session.

Excellences, Honorables Invités, Mesdames, Messieurs,

Le système africain des droits humains est, et restera toujours, une œuvre en construction : les Sessions ordinaires de la Commission africaine sont aujourd’hui un cadre dans lequel nous procédons à l’évaluation du chemin parcouru au cours des six mois précédents. Il ne s’agit pas seulement de critiquer nos dirigeants nationaux, mais également de prévenir les violations des droits humains et de monter l’échafaudage susceptible de servir de soutient et soubassement à la quête de justice et de dignité de toutes les populations, en particulier de celles qui souffrent de la violence ou de la marginalisation. 

Les forces libérées par le Printemps arabe ont changé le visage de la région et, surtout, du monde. Maintenant, tout comme il nous faut soutenir fermement les premières pousses de la démocratique, nous devons tout autant nous rappeler que le travail de construction et de consolidation des acquis présente de multiples défis.

Excellences, Honorables Invités, Mesdames, Messieurs ;

Plusieurs événements politiques et économiques majeurs sont intervenus dans de nombreuses parties de notre continent depuis notre dernière rencontre, en novembre 2011. Je puis dire que la situation pourrait être décrite en parodiant le titre d’un film « le bon, le mauvais et le méchant ». 

Les récentes élections en République du Sénégal sont un triomphe de la démocratie et de l’état de droit, un triomphe du principe des élections crédibles, libres et équitables, un triomphe de la participation des populations et, surtout, un triomphe de la voix du peuple, annonciatrice d’une nouvelle ère, de l’avènement de la civilisation et de la civilité. C’est un triomphe que les populations du Sénégal, j’en suis certaine, nous permettrons de partager et de célébrer avec elles. C’est pourquoi je voudrais saisir cette occasion pour féliciter le Représentant de l’Etat du Sénégal et de ses citoyens, ici présent, pour leur volonté tenace de faire de telle sorte que leur vote ait de la valeur et pour l’élégance de l’ancien Président, M. Abdoulaye Wade, qui a reconnu sa défaite avant la proclamation officielle des résultats. Le Sénégal a prouvé que, malgré ses imperfections, la culture démocratique ouverte reste le meilleur système de gestion des conflits, un système par le biais duquel les différends sont traités au moyen du système politique, les intérêts conflictuels sont réconciliés par la négociation et le règlement des problèmes et les personnes les plus démunies de la société ont la possibilité d’influer sur les politiques susceptibles d’alléger les causes profondes des conflits, de la pauvreté, de l’inégalité et de l’exclusion sociale.

Deux autres élections que l’Afrique espérait célébrer également ont été malheureusement tronquées et l’Afrique a été encore une fois replongée dans cette ère sombre au cours de laquelle les coups d’état étaient la norme. Les putschs intervenus en République du Mali et en Guinée-Bissau revêtent un caractère si hideux que la plupart des Africains ont été non seulement dégoutés, mais également embarrassés, et nous devons sans tarder nous dissocier de cette irrationalité. Les coups d’état au Mali et en Guinée-Bissau sont encore plus absurdes si nous considérons que, dans les deux cas, les élections devaient se tenir moins de quatre semaines plus tard. 

La Commission africaine a, sans tarder, dénoncé ces deux exemples de changement inconstitutionnel de gouvernement, qualifiés de violations de l’article 4(m)(p) de l’Acte constitutif de l’Union africaine et des articles 13 et 23 de la Charte africaine. Je souhaiterais féliciter la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui a réagi avec célérité pour couper l’herbe sous les pieds des rebelles du Mali, tandis que la communauté internationale a ajouté sa voix à la réprobation et au rejet internationaux de cette forme manifestement inacceptable de changement d’un régime légitime.

Permettez-moi, à ce niveau, de féliciter le peuple du Mali pour son combat légitime. La Commission africaine continue de suivre la situation en Guinée-Bissau et espère que les événements du Mali constituent un message clair à tous ceux qui pensent que la dynamique de la démocratie qui fleurit sur l’ensemble du continent africain peut être remise en cause au moyen des armes. Je voudrais encore féliciter l’Union africaine et les 15 Etats membres qui ont ratifié la Charte africaine sur la Démocratie, les Elections et la Gouvernance. La Charte a été adoptée le 30 janvier 2007, à Addis-Abeba et, le 16 janvier 2012, le Cameroun est devenu le 15ème Etat membre à finaliser le processus de ratification. L’entrée en vigueur de la Charte africaine sur la Démocratie, les Elections et la Gouvernance symbolise la reconnaissance croissante, par bon nombre de pays africains, de l’importance des valeurs et pratiques démocratiques et représente une réponse appropriée aux enjeux électoraux qui se présentent au Mali et en Guinée-Bissau. J’ai la conviction que cette Charte constitue un cadre d’idéaux, de valeurs et d’objectifs pour notre avenir commun et j’exhorte les autres gouvernements africains qui ne l’ont pas encore fait à ratifier la Charte africaine sur la Démocratie, les Elections et la Gouvernance.

Il existe d’autres menaces à la jouissance des droits humains sur le continent, la pauvreté, la dégradation de l’environnement, le changement climatique, les conflits voisins et leurs conséquences au-delà des frontières continuent d’entraver la mise en place des repères sociaux essentiels à la stabilité de l’Etat. Le temps et l’espace dont nous disposons ne me permettent pas de les traiter tous. Cependant, deux d’entre eux méritent de retenir notre attention, il s’agit des deux Soudans et de la résurgence du terrorisme.

Vous conviendrez avec moi que le problème des deux Soudans constitue un autre casse-tête. Le Soudan, autrefois le plus grand pays d’Afrique, est dans une zone de turbulences depuis plusieurs décennies, le Nord et le Sud luttant l’un contre l’autre depuis presque 40 ans, une situation causée par des différends en termes d’idéologie, de politique, de ressources, de terre et de pétrole et qui a fait deux millions de morts au moins et quatre millions de déplacés. Lorsque le Soudan du Sud est devenu indépendant, en juillet 2011, l’attente d’une nouvelle période de paix et de stabilité dans la région était forte. Cependant, depuis quelques mois, le Soudan et le Soudan du Sud se sont à plusieurs reprises retrouvés en quasi situation de conflit armé, notamment au sujet de la région pétrolifère d’Heglig. Il ne fait aucun doute que le Soudan est jusqu’ici dans une situation hautement instable, avec la famine qui continue de faire sentir ses effets dans le Darfour et les conflits en cours dans la région du Sud-Kordofan, situation qui amené la Commission africaine à saisir le Gouvernement du Soudan d’une demande visant la prise de mesures conservatoires concernant le Sud-Kordofan. 

Je voudrais, enfin, m’arrêter sur les violations haineuses des droits humains qui touchent des personnes innocentes dans le monde entier, ont récemment envahi le paysage africain et trouvé un terrain de prédilection dans la région nord de la République du Nigeria. Le terrorisme en Afrique représente aujourd’hui une grave menace pour la paix, la sécurité et le développement de région, il compromet les valeurs et les principes fondamentaux les plus précieux du 21ème siècle, notamment le développement, la démocratie, les droits humains et les libertés.

Le terrorisme viole la Charte africaine et les principes et valeurs énoncés dans l’Acte constitutif de l’Union africaine et du Protocole portant création du Conseil de Paix et de Sécurité (CPS). Les Etats Parties ont l’obligation de garantir le droit à la paix et à la sécurité de leurs citoyens. C’est ainsi que, motivés par la volonté et la détermination de faire face à cette menace commune, les Etats membres de l’Union avaient adopté en 1999 la Convention de l’OUA sur la Prévention et la Lutte contre le Terrorisme. De même, c’est dans le but de renforcer leurs efforts collectifs et de traduire leurs efforts collectifs en actions concrètes que les Etats Parties à la Charte ont créé à Alger, capitale de l’Algérie, le Centre africain d’Etudes et de Recherche sur le Terrorisme (CAERT), une institution qui renforce les capacités de l’Union dans les domaines de la prévention du terrorisme et de la lutte contre ce fléau en Afrique. 

Compte tenu des changements récemment intervenus dans la nature des conflits enregistrés dans le monde, aussi que dans leur réel contenu et dans la forme de leur expression, il convient de mettre en place en urgence des partenariats forts pour prendre en charge ce fléau sournois qui laisse dans son sillage une trainée de sang, la destruction et la peur. La Commission a, chaque fois, condamné tous les actes de terrorisme, quel que soit le pays dans lequel ils sont intervenus. En outre, la Commission africaine doit impliquer le CPS et le Centre d’Etudes et de recherche sur le terrorisme de manière plus constructive et proactive afin de faire face à la menace croissante du terrorisme.

C’est dans ce contexte, marqué par tous ces défis, que la Commission africaine s’est lancée avec obstination et détermination dans la mise en œuvre de son mandat. Elle a, en cas de besoin, saisi les Etats parties, publié avec diligence des déclarations, en fonction de la situation, et, en règle générale, créé des réseaux avec les autres parties intéressées en vue de la promotion et de la protection de la Charte africaine. Des détails relatifs aux activités menées par la Commission africaine dans ce sens seront présentés au cours de la Session. 

Excellences, Mesdames, Messieurs : Nous sommes arrivés à moment charnière. Dans toute l’Afrique, les victimes d’injustices sont en attente, elles attendent de nous que nous respections notre parole. Elles savent quand nous utilisons des mots pour masquer notre inaction. Elles savent quand les lois censées les protéger ne sont pas appliquées. Nous pouvons mieux faire. Nous devons mieux faire. Pendant les débats que nous aurons au cours des deux prochaines semaines sur des questions d’intérêt commun, nous devons être conscients que si le paysage des droits humains sur notre continent a connu de profondes mutations, mutations qui ont donné naissance à de nouveaux défis, il a également ouvert la voie à de nombreuses opportunités de promotion collective des droits humains.

C’est pourquoi j’en appelle aux Etats Parties à la Charte africaine, aux Institutions internationales des droits de l’homme, aux membres des organisations de la société civile et aux autres parties intéressées à collaborer avec la Commission africaine en vue de la prise en charge des problèmes identifiés et, ce faisant, pour nous permettre de jouer notre rôle de défenseurs régionaux des droits humains. Nous devons noter que les personnes qui sont continuellement victimes d’un déni de leur qualité d’êtres humains ne resteront pas toujours silencieuses devant cette situation ! C’est ce qu’exigent les populations de l’Afrique et ce qu’elles attendent de nous. Les défis sont très diversifiés. Ils requièrent de l’imagination, de la détermination et des engagements concertés de notre part afin d’identifier des solutions collectives à nos problèmes collectifs.  

Je vous remercie de votre attention.

                               Fait à Banjul, Gambie, le 18 avril 2012