Le 10 octobre est célébré chaque année comme une journée mondiale de sensibilisation pour l’abolition de la peine de mort.
La Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (la Commission africaine) à travers son Groupe de travail sur la peine de mort (le Groupe de travail) s’inscrit dans cette dynamique pour renouveler son appel aux Etats parties pour la préservation accrue du droit à la vie qui constitue le droit fondamental sans le lequel aucun des autres droits garantis par la charte africaine des droits de l’homme et des peuples ne saurait être mis en œuvre.
En ce qui concerne le continent africain, la question abolitionniste ne peut être traitée sans une prise en compte raisonnable des pesanteurs liées aux réalités socio-culturelles. Ce constat peut être corroboré à travers un regard historique sur la pratique de la peine de mort à différentes époques dans les sociétés africaines.
Les informations historiques relatées à cet égard dans une étude menée par la Commission africaine montrent que la peine de mort existait dans les communautés africaines précoloniales. Elle était notamment utilisée pour les crimes les plus graves comme la sorcellerie et les homicides. Les méthodes d'exécution incluaient la décapitation, l'empalement, l'empoisonnement ou encore l'enterrement vivant.
Pour autant, une personne condamnée pour une infraction passible de la peine capitale n’était pas forcément exécutée. Il existait d’autres moyens de traiter cette personne selon les circonstances de son acte. Ainsi, dans certaines communautés, il lui était simplement demandé de restituer un bien ou de verser un dédommagement (le prix du sang) à la famille de la victime. Dans d’autres communautés, la personne condamnée pouvait être mise au ban pendant un certain temps. A son retour, elle devait faire un sacrifice et procéder aux restitutions ordonnées par les anciens. Ainsi, si la mort était le plus souvent un châtiment normal pour un homicide illégal, elle pouvait, le cas échéant, être commuée en dédommagement, notamment lorsqu’un meurtre n’avait pas de circonstances aggravantes réelles ou qu’il ne mettait pas en péril l’équilibre social du groupe.
Durant la période sous domination, la sentence capitale était pratiquée par les puissances coloniales présentes sur le continent et les exécutions publiques étaient très fréquentes. Dans la doctrine des administrations coloniales de l’époque, ces exécutions étaient destinées surtout à servir d’exemple et à dissuader les velléités de révolte ou de rébellion de la part des populations indigènes.
Aux lendemains des indépendances, beaucoup d’Etats africains ont maintenu la peine de mort dans leur législation pour répondre à la nécessité d’asseoir l’autorité de la puissance publique et d’assurer la protection et la sécurité dans les nouveaux Etats qui venaient d’accéder à la souveraineté internationale. Certains Etats avaient même étendu la liste des infractions passibles de la peine de mort en visant, notamment, les délits économiques, les atteintes à la sureté de l’Etat, les faits d’espionnage, de trahison, de vol qualifié, etc.
Aujourd'hui la situation de la peine de mort a évolué sur le continent où des lois d’abolition ont été adoptées dans la majorité des Etats tandis que d’autres ont instauré, officiellement ou non, un moratoire sur l'exécution des personnes condamnées.
Au cours des trois dernières décennies, les efforts en faveur de la protection du droit à la vie par le biais de l’abolition de la peine de mort ont enregistré des progrès remarquables en Afrique. En 1990, seul un Etat africain avait aboli la peine de mort en droit. Aujourd’hui, 24 ont aboli la peine de mort pour tous les crimes[1], 4 pour les crimes de droit commun[2], 15 observent un moratoire sur les exécutions[3]. Plus encore, les avancées abolitionnistes s’accélèrent sur le continent depuis une quinzaine d’année maintenant : le Rwanda en 2007, le Togo et le Burundi en 2009, le Gabon en 2010, le Bénin en 2012, le Congo et Madagascar en 2015, la Guinée en 2016, le Burkina Faso en 2018, le Tchad en 2020, la Sierra Leone, la Centrafrique, la Guinée équatoriale et la Zambie en 2022 ; le Ghana, le Kenya, le Zimbabwe et le Libéria en 2023.
Au niveau international, dix-sept (17) pays africains ont ratifié le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), visant à abolir la peine de mort.[4] Depuis 2007, l’Assemblée générale des Nations Unies vote, tous les deux ans, une résolution pour un moratoire universel sur l’abolition de la peine de mort. A cet égard, le 15 décembre 2022, 29 Etats africains (contre 17 en 2007) ont voté en faveur de la 9ème Résolution de l’Assemblée générale des Nations unies pour un moratoire sur l'application de la peine de mort.[5]
Cependant certains pays maintiennent encore la peine capitale dans leur droit positif et continuent d'exécuter les personnes condamnées à mort par leurs tribunaux.
Ainsi, en 2023, 1156 condamnations ont été prononcées même s’il faut signaler que seuls deux Etats ont procédé à des exécutions.
Ces évolutions positives ne doivent pas cependant masquer les points de préoccupation soulevés à maintes occasions par notre Groupe de travail. En effet, les défis sécuritaires et la montée des extrémismes sont invoqués de plus en plus pour justifier la levée des moratoires sur les exécutions ou, de façon encore plus préoccupante, demander la réintroduction de la peine de mort dans certains Etats.
Face à cette situation, le Groupe de travail reste engagé avec tous les acteurs étatiques comme non étatiques pour susciter partout débats de sociétés sur la question de la peine de mort. Les échanges et discussions autour de ces problématiques permettront certainement de lever les équivoques sur les idées reçues tendant à établir une corrélation certaine entre l’application de la peine de la mort et les questions sécuritaires en général.
Pour conclure mon propos, qu’il me soit permis, en cette journée de célébration, d’encourager les Etats parties, les institutions nationales des droits de l’homme, les organisations de la société civile et les autres parties prenantes à continuer à soutenir la Commission africaine dans ses actions en faveur d’une meilleure protection du droit à la vie.
Hon. Commissaire Idrissa Sow
Président du Groupe de travail sur la peine de mort, les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et les disparitions forcées en Afrique
[1] Afrique du Sud, Angola, Bénin, Burundi, Cap-Vert, Congo, Côte d'Ivoire, Djibouti, Gabon, Guinée, Guinée-Bissau, Madagascar, Maurice, Mozambique, Namibie, République centrafricaine, Rwanda, Sao Tomé-et-Principe, Sénégal, Seychelles, Sierra Leone, Tchad, Togo, Zimbabwe.
[2] Burkina Faso, Ghana, Guinée équatoriale, Zambie.
[3] Algérie, Cameroun, Erythrée, Eswatini, Gambie, Kenya, Liberia, Malawi, Mali, Maroc, Mauritanie, Niger, République arabe sahraouie démocratique, Tanzanie, Tunisie.
[4] Afrique du Sud, Angola, Bénin, Cabo Verde, Côte d’Ivoire, Djibouti, Gabon, Gambie, Guinée-Bissau, Liberia, Madagascar, Mozambique, Namibie, Rwanda, Sao Tomé-&-Principe, Seychelles, Togo.
[5] https://worldcoalition.org/fr/2022/12/20/9e-resolution-pour-un-moratoir…