Déclaration conjointe Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes - 25 novembre 2022

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Les experts internationaux des droits des femmes appellent les Etats à mettre un terme à l’impunité des auteurs de violence à l’égard des femmes à travers le monde

À l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, les experts internationaux et régionaux sur la violence à l'égard des femmes et les droits des femmes* rappellent avec inquiétude que les poursuites judiciaires et les condamnations pour des actes de violence à l'égard des femmes, y compris leur dimension numérique, restent faibles et que les femmes et les filles à travers le monde sont toujours confrontées à des difficultés d’accès à la justice pénale et administrative ainsi qu’aux services de soutien.

Les normes internationales et régionales relatives aux droits des femmes ont établi une base solide pour un accès effectif à la justice pour les femmes victimes de violence fondée sur le genre. Le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes (CEDAW), dans sa Recommandation Générale No.33, identifie les facteurs clés pour l'accès des femmes à la justice : justiciabilité, disponibilité, accessibilité, bonne qualité, offre de voies de recours pour les victimes et obligation de rendre compte des systèmes de justice. Elle exige des États qu'ils créent des environnements favorables pour que les femmes revendiquent leurs droits, signalent les crimes dont elles sont victimes et participent aux processus judiciaires, tout en empêchant les représailles à leur encontre. Le Protocole à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique (Protocole de Maputo), la Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l'élimination de la violence à l'égard des femmes (Convention de Belém do Pará) et la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (Convention d'Istanbul) contiennent également de fortes obligations relatives à l'égalité d'accès des femmes à la justice, y compris l'aide juridique et la réparation.

Les normes internationales et régionales relatives aux droits des femmes ont été conçues pour permettre aux femmes et aux filles de mieux naviguer dans les systèmes judiciaires sans être discréditées, discriminées ou confrontées à des obstacles administratifs, socio-économiques ou autres élevés - et pour accroître la responsabilité des auteurs. Il est essentiel qu’elles puissent remplir cet objectif.

Des réformes juridiques ont été initiées au niveau national dans de nombreuses régions du monde, et les différents mécanismes de la Plateforme EDVAW ont noté le nombre croissant de services de police et de poursuites pénales spécialisés, de protocoles et de lignes directrices visant à garantir des enquêtes rapides et centrées sur les besoins des victimes. Cependant, des lacunes subsistent, notamment des stéréotypes négatifs à l'encontre des femmes qui remettent en question leur crédibilité et contribuent au blâme des victimes par les forces de l'ordre et les services judiciaires, ce qui contribue à la mauvaise constitution des dossiers et à de faibles taux de poursuites judiciaires, ou à l'abandon des affaires par le système de justice pénale (attrition). Une protection et un soutien adéquates pendant la phase d'enquête et pendant les procédures judiciaires pour les victimes ne sont pas systématiquement fournis et mettent à mal la capacité des femmes et des filles à accéder à la justice pénale. La coordination au sein de l’ensemble du système judiciaire est insuffisante, les ressources des organismes chargés de l'application de la loi et des systèmes judiciaires sont souvent insuffisantes, et la rareté des données administratives et judiciaires, y compris sur les féminicides, ne permet pas un examen complet des facteurs conduisant à un fort taux d'attrition. Le manque de sensibilité et de confidentialité pour les femmes et les filles lorsqu'elles sont confrontées au système judiciaire contribue également aux faibles taux de signalement et au niveau élevé d’attrition.

Les femmes et les filles confrontées à des formes de discrimination multiples et croisées, notamment les femmes migrantes, les femmes issues de minorités nationales et/ou ethniques, les femmes en situation de handicap, les femmes LBTI, les femmes âgées, les femmes en situation d’addiction, courent un risque accru de marginalisation au sein des systèmes judiciaires liés à des préjugés persistants et des obstacles physiques, de communication ou administratifs. Dans son dernier rapport thématique, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la violence contre les femmes et les filles, ses causes et ses conséquences s'est dite préoccupée par le fait que la violence contre les femmes et les filles autochtones est encore largement sous-déclarée et impunie. Cette situation a également été soulignée par le Comité CEDAW dans sa dernière Recommandation Générale No.39 sur les droits des femmes et des filles autochtones, qui insiste sur le fait que la violence fondée sur le genre à leur encontre est très peu étudiée et que les auteurs jouissent régulièrement de l'impunité en raison de l'accès extrêmement limité des femmes et des filles autochtones à la justice. De même, le Groupe de travail des Nations Unies sur la discrimination à l'égard des femmes et des filles a averti que les filles et les jeunes femmes militantes sont confrontées à de grands obstacles dans leur accès à la protection et la réparation dans les cas de violence, y compris le harcèlement en ligne, conduisant à une impunité généralisée et à ce que certaines filles et jeunes femmes renoncent à leur activisme. Le Comité d'experts du mécanisme de suivi de la Convention de Belém do Pará, dans sa récente recommandation générale sur la violence fondée sur le genre à l'encontre des filles et des femmes handicapées, a demandé aux États de supprimer les multiples barrières et obstacles auxquels ces femmes et ces filles victimes de violence fondée sur le genre sont confrontées lorsqu'elles veulent accéder à leurs droits par la justice. Dans son troisième rapport d'activité, le GREVIO a mis en évidence les diverses manières dont la faible prise en compte des incidents de violence à l'égard des femmes dans les procédures civiles liées aux décisions de divorce et de droit de garde des enfants affectent la perspective pour les femmes de construire une vie sans violence pour elles-mêmes et leurs enfants après avoir subi des violences domestiques. La Rapporteuse spéciale sur les droits des femmes en Afrique, dans son dernier rapport d'activité, a également exprimé son inquiétude quant au taux de violence en ligne et aux menaces de violence physique à l'encontre des femmes participant à la vie politique, visant à les pousser à se retirer de la participation publique. La Rapporteuse spéciale a également été à l'origine d'une résolution de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples appelant à une plus grande coopération entre les forces de l'ordre et les prestataires de services afin d'identifier les auteurs de ces actes et de garantir des poursuites et une réponse judiciaire efficaces.

Consciente que dans un monde interconnecté, la violence à l'égard des femmes est perpétrée et exacerbée en ligne et par le biais de technologies en constante évolution, la plateforme EDVAW, dans son premier document thématique adopté le 17 novembre 2022, a souligné à quel point les organes internationaux et régionaux des droits des femmes effectuent un suivi essentiel des réponses nationales à la dimension numérique de la violence à l'égard des femmes. Bien que certaines de ses expressions, y compris les abus basés sur des images, le harcèlement en ligne et le harcèlement (sexuel), soient progressivement criminalisées, des lacunes juridiques persistantes et une mise en oeuvre inégale, notamment en raison d'un manque de formation des forces de l'ordre et des professionnels de la justice pour enquêter sur ces affaires et poursuivre les auteurs des violences, empêchent les femmes d'accéder à la justice.

Dans un contexte de crises multiples, y compris liées aux conflits armés, au changement climatique, aux migrations forcées et déplacements forcés, aux pandémies persistantes et un ralentissement économique ainsi qu’au recul actuel des droits des femmes, l'accès des femmes à la justice, à la réparation et à l'autonomisation risque de plus en plus d'être dépriorisée et nécessite des garanties durables. Les membres de la plateforme EDVAW appellent instamment les États à redoubler d'efforts pour remplir leurs engagements et faire preuve de diligence voulue dans les enquêtes et les poursuites judiciaires relatives à la violence fondée sur le genre et à fournir des recours aux femmes et aux filles subissant de tels actes.

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Iris Luarasi, Présidente de la Plateforme EDVAW et du Groupe du Conseil de l'Europe of Experts on Action against Violence against Women and Domestic Violence

Reem Alsalem, Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences

Dorothy Estrada-Tanck, Présidente du Groupe de travail des Nations Unies sur la discrimination à l'égard des femmes et des filles

Genoveva Tisheva, Présidente du Groupe de travail sur la violence à l'égard des femmes du Comité de l'ONU pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes

Julissa Mantilla Falcón, Rapporteuse de la Commission interaméricaine des droits de l'homme pour les droits des femmes

Janet R. Sallah Njie, Rapporteuse spéciale sur les droits des femmes en Afrique

Marcela Huaita, Présidente du Comité d'experts du mécanisme de suivi de la Convention de Belém do Pará