La Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (la Commission), réunie en sa 79ème session ordinaire tenue en format hybride du 14 mai au 3 juin 2024 ;
Rappelant son mandat de promotion et de protection des droits de l'homme et des peuples en Afrique conformément à l'article 45 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (Charte africaine);
Rappelant également les obligations de la République du Soudan en vertu de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et d'autres instruments régionaux relatifs aux droits de l'homme ratifiés par l'Etat soudanais;
Soulignant les dispositions pertinentes de la Charte africaine qui garantissent le droit à la vie (article 4), l'interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains et dégradants (article 5), le droit à la liberté personnelle et à la protection contre les arrestations arbitraires (article 6), le droit à la liberté d'expression (article 9) et le droit à la liberté de réunion (article 11), ainsi que la non-discrimination et la protection des droits de la femme (article 18(3));
Rappelant les résolutions CADHP/Res.555 (LXXV) 2023, adoptée le 23 mai 2023, CADHP/Res.563 (LXXVI) 2023, adoptée le 4 août 2023, et CADHP/Res.578 (LXXVII) 2023, adoptée le 9 novembre 2023.
Rappelant également la résolution CADHP/Res.492 (LXIX) sur la violence contre les femmes dans les conflits armés en Afrique, adoptée lors de sa 69e session ordinaire, les lignes directrices de la CADHP sur la lutte contre les violences sexuelles et leurs conséquences en Afrique, adoptées lors de sa 60e session ordinaire à Niamey, Niger, mai 2017 ;
Gardant également à l’esprit la Résolution S-36/L.1 du 11 mai 2023 du Conseil des droits de l'homme sur l'impact du conflit en cours au Soudan sur les droits de l'homme;
Préoccupée par les attaques délibérées et continues contre la population alors que les affrontements entre les forces armées soudanaises (FAS) et les forces de soutien rapide (FSR) se poursuivent depuis leur déclenchement le 15 avril 2023 faisant que plus de 15000 personnes ont été tuées ou blessées, et près de 8,8 millions de personnes ont fui leurs domiciles depuis la mi-avril 2023 ;
Notant avec inquiétude les lenteurs dans la lutte contre l'impunité et dans la mise en place de mécanismes de justice transitionnelle, y compris l'obligation pour les auteurs de graves violations des droits de l'homme de rendre compte de leurs actes, y compris les crimes internationaux commis pendant le conflit en cours ;
Profondément préoccupée par le ciblage délibéré de civils en violation du droit international humanitaire, par l'impossibilité aux populations d'accéder à la nourriture, à l'eau, à l'électricité et aux services de base, à la propagation de la faim et de la malnutrition qui devrait entraîner une hausse des niveaux de mortalité dans les mois à venir, et par les attaques délibérées contre les hôpitaux et les installations médicales, alors que les deux parties refusent de respecter les cessez-le-feu négociés ;
Extrêmement préoccupée par l'intensification de la violence dans les régions du Darfour, de Gezira et du Kordofan-Sud au cours des derniers mois, la recrudescence des attaques contre les civils entraînant des violations de plusieurs droits garantis par la Charte africaine, notamment le droit à la vie, au respect de la dignité, à la liberté et à la sécurité des personnes, à la liberté de mouvement et à la liberté d'expression, entre autres.
La Commission :
1. Condamne fermement:
a. l'usage disproportionné de la force par les forces armées soudanaises et les forces de soutien rapide, ainsi que les attaques délibérées contre les civils et le ciblage des biens et des infrastructures civiles, y compris les hôpitaux et les organisations humanitaires ;
b. Les violations flagrantes fondées sur le sexe, l'exploitation sexuelle, l'esclavage, le trafic de personnes, le viol et d'autres comportements qui s'apparentent à des disparitions forcées.
2. Réitère ses appels à la cessation immédiate et inconditionnelle des hostilités et à cesser d'urgence de prendre délibérément pour cible les civils, et réitère également ses appels aux États voisins à accueillir les réfugiés soudanais et leur fournir une assistance humanitaire dans la mesure du possible
3. Exhorte les deux factions à ouvrir des couloirs humanitaires, à faciliter et à sécuriser le passage vers et depuis les centres de soins de santé, ainsi que vers les centres de réapprovisionnement alimentaire, et rappelle qu'il est de leur devoir et de leur responsabilité de respecter toutes les lois internationales qui régissent la conduite des hostilités, de protéger les droits de l'homme et d'assurer la protection des civils contre les hostilités ;
4. Exprime sa volonté de s'associer aux efforts de la communauté internationale, et en particulier à ceux des Nations unies et de son Conseil des droits de l'homme, pour trouver une issue positive au conflit en cours au Soudan;
5. Envisager l’envoi d’une mission d'enquête en République du Soudan pour s'enquérir des violations des droits de l'homme et des violations du droit humanitaire depuis le 15 avril 2023 jusqu'à ce jour. Cette enquête devra également inclure une analyse de leurs éventuelles dimensions de genre, de leur étendue, et de déterminer si elles constituent des crimes internationaux, dans le but de prévenir une détérioration accrue de la situation des droits de l'homme ;
6. Etudier la possibilité de Créer un réseau de protection des civils mettant l'accent sur les violences sexuelles liées aux conflits, qui regroupera le rapporteur pour le Soudan, le point focal sur la situation des droits de l'homme en période de conflit, Rapporteur Spécial sur les Droits des Femmes, la commission d’enquête du HCDH et les organisations de la société civile soudanaise. Le réseau observera et documentera les violations flagrantes commises à l'encontre des civils au Soudan et produira des rapports réguliers à l'intention de la Commission africaine.
Adopté à Banjul, la Gambie, le 3 juin 2024