Discours d’ouverture de la 63ème Session Ordinaire de la
Commission africaine des droits de l’homme et des peuple
Par
Honorable Commissaire Soyata Maiga
Présidente de la Commission Africaine des Droits de l’homme et des Peuple
Banjul, 24 octobre 2018
- Excellence Monsieur Ousainou Darboe, Vice-Président de la République de Gambie,
- Excellence Monsieur Aboubacar Tambadou, Ministre de la Justice de la
République de Gambie,
- Excellences Mesdames et Messieurs les membres du Gouvernement,
- Honorables membres de l’Assemblée Nationale,
- Distingués Délégués des Etats Membres de l'Union Africaine,
- Distingués membres du Comité des Représentants permanents de l’Union
africaine,
- Monsieur Callixte Mbari, Représentant l’Honorable Commissaire aux
Affaires politiques de la Commission de l’Union africaine,
- Honorable Juge Tujilane Chizumila, Représentant la Cour africaine des
droits de l’homme et des peuples,
- Honorables Commissaires, Membres de la Commission africaine des droits
de l’homme et des peuples,
- Distingués Représentants des Organes de l’Union africaine ici présents,
- Monsieur Mahamane Cissé-Gouro, Directeur de la Branche Afrique, Représentant le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme,
- Monsieur Dominique Delpuech, Représentant l’Organisation
internationale de la Francophonie,
- Distingués Membres du Corps diplomatique et consulaire accrédités auprès de la République de Gambie,
- Mesdames et Messieurs les Représentants des Organisations
internationales,
- Mesdames et Messieurs les Représentants des Institutions Nationales des
Droits de l’homme,
- Mesdames et Messieurs les Représentants de la société civile,
- Distingués invités, Mesdames et Messieurs, en vos grades et rangs
respectifs.
Bonjour à tout le monde.
C’est pour moi un honneur et un privilège d’avoir à m’adresser à cette auguste assemblée, au nom de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (la Commission africaine) et en mon nom personnel à l’occasion de l’ouverture de cette session.
Permettez-moi de souhaiter une chaleureuse bienvenue à tous ceux et celles qui ont fait le déplacement pour nous rejoindre à Banjul, et de remercier, au nom de l'ensemble de mes collègues, les distingués invités ici présents, qui malgré leurs multiples responsabilités et occupations, ont bien voulu rehausser de leur présence ce rituel qui marque l’ouverture des travaux de la 63ème session ordinaire de la Commission africaine.
Je voudrais également à ce stade, remercier très vivement Son Excellence Monsieur Ousainou Darboe, Vice-Président de la République de Gambie, pour avoir bien voulu accepter de rehausser cette cérémonie de sa présence et à l’ensemble des autorités gambiennes pour les facilités et l’assistance accordées aux participants ainsi que pour la contribution multiforme à l’organisation de ces assises.
Excellence Monsieur le Vice-Président, Distingués invités,
Mesdames et Messieurs,
Cette année, les droits de l’homme sont à l’honneur car le monde entier commémore les soixante-dix (70) ans d’existence de la Déclaration universelle des droits de l’homme, instrument qui consacre, selon l’ancienne Haut- Commissaire aux droits de l’homme (DUDH), Madame Mary Robinson, « la première expression des droits et libertés de tous les membres de l’humanité». Comme le dit le texte de la Déclaration, la DUDH est « l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations afin que les individus et tous les organes de la société s’efforcent…de développer le respect de ces droits et libertés et d’en assurer…la reconnaissance et l’application universelles et effectives».
Dans le cadre de cette commémoration, l’opportunité nous est offerte de faire un état sommaire de la situation des droits de l’homme en Afrique depuis la dernière session. Deux questions se posent: où en sommes-nous ? Quels sont les défis actuels ?
Mesdames et Messieurs, au titre des préoccupations, nous sommes interpellés au plus haut niveau, par la question sécuritaire dans la région du Sahel et son impact sur le droit des populations à un environnement satisfaisant, global et propice à leur développement. Il s’agit en particulier des attaques terroristes répétitives au nord et au centre du Mali, dans les régions frontalières entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger ; au Nigéria, au Tchad et en Somalie, pour ne citer que ces pays ; et qui ne cessent d’occasionner des pertes en vies humaines, tout en paralysant les activités économiques des populations nécessaires à leur survie et nécessaires à la préservation de la sécurité alimentaire dans ces régions. Il faut également signaler les offensives militaires dites de libération de Derna, bastion des islamistes radicaux qui ont fait des ravages en Libye.
Une autre préoccupation concerne la crise migratoire en Afrique. Aucune lueur ne semble éclairer l’horizon, en particulier sur la situation actuelle en Libye. Les conditions sécuritaires sur le terrain et les dysfonctionnements structurels n’ont pas encore permis à la Commission africaine d’y effectuer la mission d’établissement des faits commanditée par l’Union africaine.
Nous invitons l’Union africaine et les partenaires internationaux impliqués dans la recherche de solutions, les pays européens également, de prendre des mesures idoines afin de prévenir la survenance d’autres drames et de s’assurer que la dignité humaine de tous les migrants soit respectée sur l’ensemble des territoires et des pays, notamment ceux de transit ou de destination.
Toujours sur la question des migrants, la Commission africaine déplore l’expulsion par les autorités angolaises, d’environ quatre cent mille ressortissants congolais vivant dans la province de Lunda-Norte vers la République Démocratique du Congo (RDC), suite à des opérations menées par la police et visant des étrangers semble-t-il en situation irrégulière et soupçonnés d'être impliqués dans le trafic de diamants. De ces opérations, il nous a été rapporté des allégations faisant état de l’usage de la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants ayant occasionné la mort d’une dizaine d’entre eux.
Il est nécessaire, plus que urgent d’ailleurs, que les politiques nouvelles soient initiées par les Etats entre eux en vue de l’adoption d’accords, de plans et de
programmes qui favoriseraient l’établissement, dans des conditions de sécurités légales réciproques de leurs ressortissants, en particulier, les jeunes, en quête d’emplois et de perspectives meilleures, pour qu’ils ne soient pas poussés à prendre le chemin fatal du désert ou de la mer.
Une autre source de préoccupation concerne les troubles politiques au Togo et les contestations post-électorales suite aux dernières élections présidentielles au Mali et celles municipales et locales en Côte d’Ivoire.
La Commission africaine demeure préoccupée par la crise anglophone qui perdure au Cameroun et dont la situation ne cesse de s’exacerber avec les multiples violations des droits de l’homme ; la crise politique en RDC ainsi que les attaques répétitives contre les populations civiles survenues à Béni, dont les dernières ont eu lieu la semaine dernière faisant plus d’une dizaine de morts ; la persistance de la crise politique au Burundi et la suspension, depuis le 1er octobre 2018, des activités de toutes les organisations non gouvernementales étrangères ; suspension qualifiée de temporaire par les autorités mais qui produit déjà des conséquences négatives sur la vie des populations déjà suffisamment éprouvées.
Excellence Monsieur le Vice- Président, Distingués invités,
Mesdames et Messieurs,
Au moment où nous célébrons les 20 années de la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’homme, il y a lieu de reconnaitre que dans plusieurs pays, le sort qui leur est réservé n’a pas connu de nettes améliorations. En effet, des allégations d’arrestations et de détentions arbitraires des défenseurs des droits de l’homme ainsi que des atteintes à la liberté d’expression, de réunion et de manifestation ne cessent de nous parvenir en provenance des pays tels que le Cameroun, le Gabon, l’Egypte, la RDC et le Soudan.
Il est donc également constaté que certains gouvernements musellent les citoyens et les empêchent de s’exprimer librement. Cela passe par la taxation exorbitante des tarifs de communication, la fermeture des réseaux sociaux à certaines
occasions ou l’utilisation de moyens directs tels que les arrestations, les condamnations arbitraires opérées à l’encontre des défenseurs des droits de l'homme, des journalistes ou des professionnels des médias qui dénoncent les différentes violations dans les pays.
Mesdames et messieurs, revenant au thème de l’année de l’Union africaine et de la journée africaine des droits de l’homme célébrée le 21 octobre dernier ici même à Banjul, sur la problématique de la lutte contre la corruption, l’évaluation qui en a été faite a démontré l’impact de la corruption sur les droits de l’homme. En effet, les pratiques de corruption entraînent un déficit de financement pour le fisc, facilitent les flux illicites de capitaux vers l’extérieur du continent et limitent les capacités des gouvernements à remplir leurs obligations vis-à-vis de leurs populations, en particulier s’agissant des droits sociaux économiques, notamment dans les domaines de la santé, de l’éducation, du travail, de l’accès à une justice indépendante et du partage équitable des richesses et des ressources naturelles.
Je saisis cette tribune qui m’est offerte pour appeler les Etats parties à vulgariser et à mettre en œuvre la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption et toutes les parties prenantes à redoubler d’efforts dans la lutte contre la pratique de corruption en vue de la réalisation des droits de l’homme et des peuples au profit de l’ensemble des populations africaines.
Excellence Monsieur le Vice-Président, Distingués invités,
Mesdames et Messieurs,
Au titre des progrès intervenus au cours de l’intersession, il me plait de saluer les avancées enregistrées en République de Gambie à savoir la ratification du Deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant l’abolition de la peine de mort en septembre dernier et la récente mise en place, le 15 octobre dernier, de la Commission vérité, réconciliation et réparations. D’autres développements positifs vous seront certainement délivrés dans l’allocution de son Excellence Monsieur le Vice- Président ici présent parmi nous.
Nous notons également les bonnes nouvelles qui continuent de nous parvenir de l’Ethiopie telles que les mesures prises pour la consolidation de la paix, le changement démocratique et la promotion des droits de l’homme illustrés notamment par la signature d'un accord de paix et de désarmement avec les groupes d'opposition armés, la mise en place, dernièrement , d’un gouvernement respectant la parité homme - femmes et l'ouverture d'un espace politique pour les partis de l’opposition.
La Commission africaine se félicite également du rapprochement entre l'Érythrée et l'Éthiopie et l'ouverture des frontières qui s'en est suivie créant ainsi un environnement propice à la réconciliation, à la paix, à la sécurité et au bien-être des deux peuples.
Nous avons apprécié les mesures d’amnistie accordée par les autorités ivoiriennes à environ 800 personnes poursuivies ou condamnées pour des infractions en lien avec la crise de 2010 ou d’autres infractions ; et celle accordée par les autorités rwandaises à plusieurs détenus dont des opposants politiques.
Nous avons accueilli avec satisfaction la volonté politique exprimée par le Président de la République de Côte d’Ivoire de mettre en œuvre une décision de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples en acceptant de réexaminer la composition de la Commission électorale indépendante.
Excellence Monsieur le Vice-Président, Distingués invités,
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais, à ce stade de mon discours, m’exprimer sur une situation qui a fait l’objet de certaines déclarations ici et qui préoccupe la plupart des organisations de la société civile et des partenaires de la Commission africaine ici et au-delà. Je vais parler de la décision du Conseil exécutif de juin 2018 et ses conséquences. Nous comprenons la frustration des uns et des autres et même l’indignation pour ce qui est perçu par nombre d’entre vous, comme une entrave à l’exercice du mandat de la Commission africaine et une atteinte à son indépendance. Elle est
perçue également comme une restriction à la protection des défenseurs des droits
de l’homme et à l’espace dédié à la société civile.
La Commission africaine a été touchée par l’élan de solidarité ainsi que par les messages de soutien et de reconnaissance à son travail qui lui sont parvenus de toutes parts depuis cette fameuse décision, y compris de la part de certains Etats parties et des organes de l’Union africaine. Ceci traduit, s’il en est besoin, la qualité du partenariat et de la collaboration que la Commission a entretenus, au fil des années, avec les différentes parties prenantes autour de la promotion et de la protection des droits de l’homme sur le continent.
Mesdames et messieurs les Commissaires, vous pouvez vous sentir fiers de la façon dont vous exercez votre mandat, de la façon dont, avec respect et compétence, vous assumez votre travail dans des conditions difficiles.
La Commission africaine tient à rassurer les représentant de la société civile et à réaffirmer son ferme attachement à l’universalité des droits de l’homme et son engagement à mettre en œuvre son mandat de promotion et de protection des droits de l’homme en défendant les droits humains de toutes les personnes, de tous les individus, sous l’angle des principes garantis par la Charte Africaine, que sont notamment la non-discrimination, l’égalité de traitement de tous, la protection de l’intégrité physique et le respect de la dignité humaine.
Je voudrais saisir cette occasion pour inviter les différentes parties prenantes, notamment les mécanismes des droits de l’homme, les INDH et la société civile, à poursuivre leurs efforts pour défendre le système africain des droits de l’homme. Plus d’engagement et d’efforts sont donc nécessaires à l’endroit des Etats parties pour plus de synergies et d’alliances stratégiques, pour dissiper les mythes et stéréotypes négatifs concernant la question de l’orientation sexuelle et de l’identité du genre qui n’est qu’une question des droits de l’homme parmi tant d’autres.
En addition aux sessions publiques de la Commission africaine et aux Forum des ONGs, il devient impératif pour les organisations de la société civile africaine et les représentants de leurs pays au sein des organes délibérants de l’Union
africaine, d’envisager la mise en place d’un cadre d’échange fécond et pérenne, de réflexions et de discussions sur toutes les questions des droits de l’homme, préférablement durant la décennie de l’union africaine dédiée aux droits de l’homme. C’est seulement ainsi que notre continent pourra s’outiller, surmonter et faire face aux défis émergeants qui l’attendent.
A cet égard, les différents acteurs et décideurs politiques de nos pays, sont appelés plus que jamais, chacun en ce qui le concerne, de jouer son rôle pour l’édification de la démocratie, le respect de l’Etat de droit et la promotion et la protection des droits de l’homme en Afrique. Il ne sert à rien de ratifier des conventions régionales et internationales et de mettre en place des organes chargés de les monitorer et d’appuyer les efforts des Etats dans leur mise en œuvre si ces mêmes Etats continuent de façon méthodique et systématique à leur couper les bras.
Excellence Monsieur le Vice-Président, Distingués invités,
Mesdames et Messieurs,
Je ne saurais terminer mon propos sans adresser les félicitations de la Commission africaine à Son Excellence Monsieur Moussa Faki Mahamat, Président de la Commission de l’Union Africaine pour sa visite officielle ici en Gambie et sa visite au siège de la Commission africaine le 4 octobre 2018, ce qui est une première du genre depuis l’établissement de l’institution ici en Gambie. Les échanges avec le personnel et avec moi-même, lui ont permis de s’imprégner davantage des difficultés structurelles, organisationnelles et administratives que l’organe rencontre dans l’exécution de son mandat et qui affectent son intégrité mais également son indépendance. Nous espérons que des solutions idoines et diligentes seront apportées aux maux qui rongent la Commission africaine dans le cadre de la réforme institutionnelle en cours.
Excellence Monsieur le Vice-Président, Distingués invités,
Mesdames et Messieurs,
La question récurrente de la construction du siège de la Commission africaine a été abordée à l’occasion de cette visite. Nous espérons qu’avec votre engagement personnel et la volonté politique de votre gouvernement, ce projet sera inscrit au rang des priorités de votre agenda.
Chers participants, permettez-moi de vous réitérer les remerciements de la Commission africaine pour votre soutien qui n’a jamais été aussi visible qu’en ces moments où la Commission connait effectivement des difficultés. Nous savons pouvoir compter sur votre accompagnement, sur votre participation à notre travail, pour qu’ensemble nous puissions effectivement construire et bâtir l’Afrique que nous voulons pour les générations futures et pour nous-mêmes.
Je vous remercie pour votre aimable attention !