La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (la Commission africaine), réunie en sa 73ème Session ordinaire tenue du 20 octobre au 9 novembre 2022 à Banjul, en Gambie :
Rappelant son mandat de promotion et de protection des droits de l’homme et des peuples en Afrique, en vertu de l’article 45 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (la Charte africaine) ;
Consciente du droit de tous les citoyens de « participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis », tel que garanti par l’article 13 de la Charte africaine, et du « droit de tout peuple à l’autodétermination », garanti par l’article 20 de la Charte africaine ;
Rappelant sa Résolution ACHPR/Res. 515 (LXX) sur les Changements Anticonstitutionnels de Gouvernement en Afrique ;
Rappelant également la reconnaissance, dans son Etude sur « La prise en compte des questions relatives aux droits de l’homme dans les situations de conflit en Afrique », que les changements anticonstitutionnels de gouvernement empiètent sur divers droits garantis par la Charte africaine, notamment les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité personnelle, à l’application régulière de la loi, à la liberté d’expression, à la liberté d’association et de réunion, le droit à la participation, le droit à l’autodétermination et le droit à la paix et à la sécurité ;
Rappelant et réaffirmant la condamnation et le rejet des changements anticonstitutionnels de gouvernement en vertu de l’Acte constitutif de l’Union africaine et les exigences de « respect des principes démocratiques, des droits de l’homme, de l’état de droit et de la bonne gouvernance » (Article 4(m)) ;
Rappelant également les dispositions de l’article 23 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, qui condamne les changements anticonstitutionnels de gouvernement, y compris les putschs et les coups d’État ;
Ayant à l’esprit l’article 23 de l’Acte constitutif de l’UA et l’article 7(1)(g) du Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité, qui prévoient la suspension de la participation aux activités de l’UA d’un pays dans lequel un gouvernement a pris le pouvoir suite à un changement anticonstitutionnel de gouvernement ;
Profondément préoccupée par la résurgence des coups d’État militaires en Afrique, quatre pays ayant subi des coups d’État militaires depuis 2021 et un pays ayant connu deux coups d’État en 2022 ;
Déplorant les violations des droits de l’homme et les crises que ces coups d’État occasionnent, sur fond de crises sécuritaires et sociopolitiques, ainsi que les conséquences directes et négatives sur les citoyens, notamment en raison de la perturbation des services;
Concernée par le fait que les coups d’Etat militaires au Burkina Faso, au Mali, et au Soudan ont eu lieu dans un contexte d’insécurité majeure et d’aggravation des crises socio-économiques et humanitaires ;
Se félicitant des mesures adoptées par le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine et l’Autorité de la CEDEAO ;
Condamnant fermement la répression violente des manifestations pacifiques au Soudan, impliquant le recours abusif à la force, y compris des balles réelles, causant des blessures et des exécutions extrajudiciaires, et affirmant l’obligation des États de respecter et de protéger le droit de réunion pacifique ;
Préoccupée par la situation des droits de l’homme en Guinée, qui est devenue récurrente et a culminé avec la dissolution du principal mouvement d’opposition du pays, le Front national pour la Défense de la Constitution (FNDC), d’une manière qui aurait violé la liberté d’expression, d’association, de réunion pacifique et de participation démocratique;
Egalement préoccupée par la perturbation du processus d’adoption de lois visant à protéger les médias, par les militaires, qui ont suspendu les organes législatifs et la Cour Constitutionnelle ;
1)Déclare que les coups d’État militaires constituent des actes rétrogrades et contraires aux droits de l’homme et des peuples, ainsi qu’aux principes de la démocratie et de l’ordre constitutionnel ;
2)Réaffirme le rejet et la condamnation des changements anticonstitutionnels de gouvernement en vertu de l’article 4 de l’Acte Constitutif ;
3)Condamne la prise de pouvoir par les militaires au Burkina Faso, en Guinée, au Soudan, et Mali ;
4)Rappelle aux autorités militaires que les Etats parties restent liés par les droits et libertés consacrés par la Charte africaine à tout moment et doivent en conséquence garantir l’exercice par les citoyens de leurs droits et libertés, notamment la liberté d’expression, la liberté d’association, la liberté de réunion et l’accès aux services sociaux et publics, y compris l’accès à la justice ;
5)Condamne fermement :
(a)la répression continue des droits et la limitation des libertés fondamentales au Soudan par les militaires depuis le coup d’État d’octobre 2021, et en particulier l’usage excessif de la force par les services de sécurité contre des manifestants pacifiques, qui a fait au moins 117 morts et plus de 2 000 blessés, à ce jour ; et
(b)la violation, en Guinée, de la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, ainsi que du droit à la vie et à l’intégrité physique ; et la dissolution du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) par le Comité national du rassemblement et du développement (CNRD), la junte militaire au pouvoir depuis le 5 septembre 2021 ;
6)Demande instamment que le processus de transition soit mené dans le plein respect des exigences de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, y compris la nécessité pour les personnes impliquées dans le leadership militaire de la transition de ne pas participer aux élections organisées à la fin de la transition pour rétablir l’ordre constitutionnel;
7)Rappelle aux autorités militaires de transition qu’elles seront responsables de toutes les violations occasionnées par le coup d’État organisé et pendant qu’elles tiennent de facto les rênes du pouvoir ;
8)Demande que les responsables de violations graves des droits de l'homme, y compris celles commises dans le cadre de la ou des transitions, fassent l'objet d'enquêtes et de poursuites ;
9) Demande la libération de toutes les personnes qui ont été arrêtés arbitrairement, ainsi que la garantie du droit de manifester comme moyen d’expression pacifique dans une démocratie ; et
10) Appelle à des révisions et à des réformes constitutionnelles pertinentes dans les États touchés, qui prennent en considération, entre autres : la séparation des pouvoirs et l'équilibre des pouvoirs entre les différentes branches du gouvernement ; des garanties solides pour l'indépendance judiciaire, la liberté de la presse et la liberté ; des organes constitutionnels indépendants, y compris des commissions des droits de l'homme ; des garanties de transparence financière et de distribution équitable des opportunités et des ressources ainsi que des services ; et des réformes du secteur de la sécurité.
11) Exhorte l’Union africaine à combler les lacunes dans les normes et les pratiques d’application de l’interdiction des changements anticonstitutionnels de gouvernement, telles qu’énoncées dans la Déclaration de Lomé de 2000 et dans la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance.
Fait à Banjul, Gambie, le 09 novembre 2022