Déclaration de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples à l’occasion de la célébration de la Journée Mondiale Contre la Peine de Mort
A l’occasion de la Journée mondiale contre la peine de mort célébrée chaque 10 octobre, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (la Commission) réaffirme son engagement indéfectible en faveur de l’éradication totale de cette pratique. Son inefficacité tout comme son caractère potentiellement arbitraire et discriminatoire ont été maintes fois démontrés au fil des années.
Pour la deuxième année consécutive, la Journée mondiale est placée sous le thème : « Lutter contre la conception erronée selon laquelle la peine de mort rend les personnes et les communautés plus sûres ».
Dans ma déclaration du 10 octobre 2024, j’avais déjà exprimé la préoccupation de la Commission face à la tendance observée dans certains Etats à justifier la levée des moratoires sur les exécutions, voire à envisager la réintroduction de la peine de mort en invoquant les défis sécuritaires et la montée des extrémismes violents.
Cette préoccupation demeure pleinement d’actualité. Dans plusieurs pays, les législations relatives à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme définissent de manière excessivement large les « actes de terrorisme », sans compter les nombreuses exceptions et dérogations accordées aux autorités de poursuite et de jugement dans ce domaine souvent au détriment des droits fondamentaux à la défense reconnus aux personnes mises en cause.
En Afrique, les systèmes judiciaires dans certains pays demeurent confrontés à des difficultés structurelles qui accroissent le risque d’erreurs judiciaires et de condamnations arbitraires, aux conséquences souvent irréversibles.
Dans ce contexte, il convient de rappeler que les Principes et directives sur les droits de l’homme et des peuples dans la lutte contre le terrorisme en Afrique adoptés par la Commission en 2015 exhortent les Etats à respecter pleinement le droit à la vie, y compris dans la conception et la mise en œuvre de leurs stratégies de lutte contre le terrorisme. Ce respect doit se traduire aussi bien dans l’élaboration des politiques de sécurité et de défense que dans la formulation des législations pénales et des mesures de maintien de l’ordre.
La peine capitale au même titre que toute sanction pénale, traduit la manière dont une société conçoit la criminalité et les moyens d’y répondre. Il est dès lors essentiel d’informer, de dialoguer et de déconstruire les mythes qui l’entourent, afin de démontrer qu’elle ne possède aucun effet dissuasif avéré et qu’elle ne garantit certainement pas une plus grande sécurité pour les personnes et les communautés.
De nombreux conflits et crises déchirent l’Afrique. Dans les pays touchés, la peine de mort doit être intégrée à une réflexion plus large sur la justice transitionnelle et la réconciliation nationale, où l'objectif principal est de promouvoir la paix sociale, la reconnaissance des souffrances vécues et la construction d'un avenir commun.
L’Afrique continue de progresser sur la voie de l’abolition et depuis la dernière commémoration de la Journée mondiale contre la peine de mort, le Zimbabwe a franchi une étape importante en l’abolissant en décembre 2024. La Commission salue cette avancée significative, qui s’ajoute aux progrès notables enregistrés au cours des dernières décennies dans la consolidation du mouvement abolitionniste sur le continent.
Toutefois, le chemin vers une abolition universelle de la peine de mort en Afrique demeure long. C’est pourquoi, tout en félicitant les Etats qui ont aboli de façon définitive cette peine, nous encourageons ceux qui l’ont aboli pour les crimes de droit commun à évoluer vers une abolition totale. Nous invitons par ailleurs les pays qui n’ont pas encore aboli la peine de mort à imposer un moratoire sur l’exécution des condamnés à mort en commuant les peines de mort déjà prononcées en peines d’emprisonnement à perpétuité.
La Commission encourage vivement les Etats parties à la Charte africaine, les organes de l’Union africaine, les institutions nationales des droits de l’homme, ainsi que les organisations de la société civile, à unir leurs efforts pour soutenir le processus d’adoption et de ratification du Protocole à la Charte africaine portant abolition de la peine de mort.
La Commission invite une nouvelle fois les Etats membres de l’Union africaine qui ne l’ont pas encore fait à ratifier le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant l’abolition de la peine de mort. Elle les exhorte également à harmoniser leurs législations nationales afin d’assurer la pleine conformité de leurs cadres juridiques avec les normes internationales et régionales de protection du droit à la vie.
La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples exhorte tous les Etats africains à soutenir et à voter en faveur du moratoire universel sur les exécutions, conformément aux résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies.
Pour les Etats qui maintiennent encore la peine capitale dans leur législation, la Commission leur recommande avec insistance de limiter son application aux crimes les plus graves et à considérer l’instauration d’un moratoire sur les exécutions en attendant d’envisager son abolition définitive dans leurs législations.
En cette journée, nous voulons encourager davantage les Etats parties à la Charte africaine, la société civile, et les organisations internationales à intensifier leurs efforts pour construire un monde où la justice ne sacrifie jamais la vie humaine.
Honorable Commissaire Idrissa Sow
Président du Groupe de Travail sur la Peine de Mort, les Exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et les Disparitions forcées en Afrique